l ’odeur. Quelques exceptions peuvent néanmoins
fe préfenter : le fucre & les fécules , dont on fe .
nourrit fi bien , font inodores , tandis que 1 acide
pruffique donne aux corps qui lé contiennent une
odeur agréable avec des qualités vénéneules 3 8c
que la mancenille elle même, dit-on , répand un
charmant parfum. Le mule & l’huile de Cayepuc
flattent l’odorat ; leur faveur eft fort peu pro- '
noncée. Il ne faudroit donc pas s’en rapporter
conttamment à ce fens pour juger du degré de
convenance des ali mens. Y a-t-il, par exemplé s
une odeur plus repoufiante que celle de plufieurs
efpèces de fromages ? Et cette fauce noire 8c
piquante des anciens Romains , leur fameux garum,
fabriquée avec des inteftins 8c des débris de poif- •
fons pourris , & payée auffi cher fous les premiers
empereurs que les parfums les plus précieux 3
étoit fervie dans les repas de luxe 3 & defirée avec
la plus vive ardeur par des convives dont elle ex-
citoit l’appétit, mais dont,elle flattoit peu l’odorat.
Auffi trouve-t- on dans une épigramme de Martial
ce vers :
Nobile nunc- fitio luxuriofa garum.
en oppofition avec ce diftique du même auteur :
TJnguentum fuerat, quodonyx modo parva gerebat,
Nunc poftquam olfecit Papilus , ècce garum eft.
On afiére auffi que le fruit d’une forte d’arbre à
pain ( A'tocarpus integrifolia') a une odeur d excré-
mens qui ne l’empêche pas d’être un fort bon aliment.
Celui du Durio ^ibethinus3 arbre des Indes
orientales, a une chair dont la faveur eft comparable
à celle de la plus délicieule crème, mais
dont l’odeur rappelle l’oignon pourri.
On peut pourtant manifeftement, d’après cela,
établir quelques règles hygiéniques fur les données
que fournit l’olfaâion. Gavard, dans fon
Traité de Splancknologie , rapporte qu’il eut de
vives convulfions après avoir mangé la moitié
d’une pomme, efpèce de fruit dont l ’odeur lui
avôit toujours déplu. Les animaux , au refte, font
plus furement éclairés que l’homme par l’ odorat
dans le choix de leurs alimens; leur inftinéf , que
perfonne ne dirige , eft admirable fur ce point; il
ne les trompe prefque jamais ; les nombreux troupeaux
qui paillent dans les Alpes ne broutent
point les fommités des herbes vénéneufes j & ,
pepdant laconquête du Nouveau-Monde , les Ef-
pagnols ne vouloient faire ufage des fruits qui
s’ oftroient à eux que quand leurs chevaux y
avoientgoûté, précaution dont, plus récemment,
s’eft fervi le célèbre voyageur Levaillant. Durant
fon féjour en Afrique, il faifoit flairer par un
magot les végétaux dont il avoit deffein de fe
nourrir, fur que cet animal rejetteroit toute lubf-
tance vénéneufe 8c leroit un bon guide à fuivre
dans ce cas. Le Père Gumilla, dans fon Hifioire
naturelle de l'Orènoque, avoit déjà fait une obJ
fervation femblable par rapport aux finges en géj
néral, ce que confirme également Kolbe dans fa
Defcription du Cap de Bonne-Efpérance. On fajj
auffi généraltment que les fruits piqués par W
oifeaux n’ont aucune qualité malfaifante. Il n’y J rien U d’ étonnant; car, comme l’ obferve BuffonJ
l’ ôdorat étant le fens de l’appétit, les animaux
doivent l’avoir plus parfait que l’homme, qui doit
plus connoître qu’appéter. C ’eft ce qui a porté
Lecat à regarder l’odorat moins comme un feus
particulier que comme.une partie ou un fupplé.
ment de celui du goût., dont il eft, pour ainfJ
dire , la feminelle ; & en un mot, à en faire
cotnme le goût des odeurs 8c ' l’ avant-goût des
faveurs.
Chez, les animaux des claffes inférieures J
l’homme, le principal organe de l’ inftindl paroli
donc être l’oîfaétion ; un corps'odorant efi pour
eux ce qu'une fubftance très éclatante, placée au
milieu d objets peu éclairés, feroit pour un être!
qui n’obéiroit qu’au fens de la vue ; leurs yeuxix
leurs oreilles ne femblent pas s’appliquer à beau-]
coup d’objets divers pour les confidérer fous un
grand nombre de rapports. Dans l’homme, au
contraire , les odeurs n’ont qu’une influence paf-
fagère fur les idées ; les fenfations qu elles donnent
, augmentent fort peu les facultés inteliei-j
tu-lles, 8c furtout ne le font pas d’une manièid
durable. C ’eft: par la vue & par l’ouïe que lui vien-j
nent les connoifiances les plus étendues : il doit
en effet connoître & apprécier par le raifonne*
ment, plutôt qu’appéter 5c fe laiïïer conduire par
l’inftinCt, qui eft conftamment en rai fon invetle
de l’intejligence.
Remarquons pourtant ici que fi , à la vérité,
chez les quadrupèdes qui naillent, 5c reftenupiel-
que temps encore apres leur naiftance, les yeux
fermés , l’odorat 5c le taft paroi fient'être les feuls
guides de l inftind primitif, le jeune poulet, le]
perdreau, le cailleteau , à peine lortis de la coque,]
fe fervent’néanmoins avec beaucoup de precilionj
de leur vue , & , en courant.après les infeétes, &•
vent approprier exactement aux diftances Es efforts
des mufcles de leurs cuilfes.
D‘ans beaucoup'd'animaux, ce même organeue:
l’inftinét eft auffi affez fouvent celui de la fytjjjfl
thie. Plufieurs efpèces font évidemment dirigées]
vers les êtres de la même ou d’une, autre elpècei
par des émanations odorantes qui leur en indiquent
la trace W leur en font connoître la préfence long?
temps avant que leurs oreilles aient pu les entendre
ou leurs yeux les apercevoir.
Au refte , ce ne font pas là les feules fonfliojj5
auxquelles cette fenlation paroifle appelée : en®]
a une foule d’autres ufages à remplir. On connoi^
fes rapports étendus avec les organes génitaux;*]
on peut demander quel eft l'homme dont Ifj
. odeurs n’ aient pas ému l’imagination, chez lequel
elles n’aient réveillé quelques fouvenirs ? j
I) n’en eft cependant point de l’olfiéHoncomme.
. |3 vifîon 8c de l’audition , qui font néceffaires
.'état focial, 8c fans lefquedles cet état ne fauroit
Ibfifler : elle ne donne lieu qu’à des fenfations
iatérielïes, elle n'établit aucun rapport intellec-
u entre l’homme 8c fes femblàbies. L’individu
|ivé de la faculté d’od o re rn e pourroit point ac-
liérir certaines connoiftances phyfîques ; mais U
bnferveroit encore toutes fes prérogatives eflen-
fe|les, puifque fon intelligence auroit encore
Ls les moyens fuffifans de fe développer 8c
agir.’ , I H H H j
iCe font donc les fondions nutritives qui, chez
jiomme, fouffriroient le plus de la perte de
Jplfaftion ; il n’auroit plus alors en foi de moyen
Lffifant pour diftinguer l’aliment du poifon , 8c
kmrroit rifque de périr s’ il étoit abandonné à
Li-même- On ne doit donc pas s'étonner- que le
In; dont il s’agit foit plus développé, plus étendu,
délicat chez les êtres organifés dèftinés na-
lement à l’état fauvage , que chez l’être intel-
|gent deftiné à l’état focial.
Nous venons de reconnoître les ufagës de E d ition
dans les fondions nutritives ; mais, tout
li les admettant, ne devons-nous pas penfer que
Rrtains auteurs font ailes un peu loin quand ils
j t affirmé que l ’on pouvoit foutenir fes forces
fendant quelque temps au moyen de l’odorat?
fâcon parle d’un homme qui pouvoit jeûner pen-
iar.t quatre ou cinq jours entiers en refpirant
juleur de l’ail 8c des herbes aromatiques. On af-
[ure auffi que Démocrite prolongea fa vie de quell
e temps eii fe nournjfant de la vapeur du pain
Jiaud. Mais, dans ce dernier’ cas, même tout en
Iconnoiflant la réalité du fa it , devons-nous admettre
l'influence de l’ odorat feulement ? Oribafe,
pt-on, a également écrit avoir connu un philo-
Iphe auquel la feule odeur du miel fervit de
Sourriture durant un certain temps. Il feroit facile
îaccumuler de femblàbies exemples, tous plus
purdes & plus ridicules les uns que les autres,
Br dans tous les temps , l’impatiente imagination
■ quitté la route tracée par la fageffie pour tta-
|rfer la vérité; mais rien n’intérelfe jamais que
| qui eft vrai, & rien n’eft vrai en phyfiolpgie
|Uc ce qui a l’expérience 5c l’obfervation pour
Iles.
Lorgane de l’odorat eft placé à l’ entrée des
pes aériennes, pour juger, dans beaucoup dé
|rconftances , des qualités de l’air qui y pénètre ,
fmme celui du goût eft logé à l’origine des voies
Bgeftives, parce que les fiveurs font une des
N'tés de l’aliment. L’ammoniaque, l’ acide fluo-
wue, racide chlorique ou muriatique fur-oxy-
P e 5l’acide fulfureux, le gaz nitreux, & c ., ex-
ptent la toux lorfqu’on refpire de l’air chargé de
|j émanations, & cela avant même que cet air
F en contait avec les bronches. Ne peut-on pas
pmparer exaétem cet effet à celui qui a lieu fur
I o jac lorfque des fubftances délétères font ap-
I -A n a l. Tome 1.
pliquées fur l ’organe du goût? On fait qu’ alors ce
vifeère fe contra été convulfivement, & que levo-
miftement en eft la fuite. Audi eft-ce par l ’odorat
qu’on reconnoîtlevoifiriagede beaucoup de corps
nuifîbles , qui répandent autour d’eux des émanations
propres à trahir leur préfence & à agir d’une
manière râcheufe fur les poumons. Quelques animaux
trouvent même en cela un puiffant moyen
de confervation. Les petits quadrupèdes & les oifeaux
qui pourroient devenir la proie des crotales
8c du boiquira en particulier, favent reconnoître
de loin l’odeur de ces ferpens, qui les frappe de
terreur, 8c dont les vapeurs infeites font lancées
autour d’eux, avant qu’une morfure empoifonnée
porte la décompofîtion la plus prompte dans le
corps de ces viitimes épouvantées. Il en eft de
même de l’odeur du devin, reptile qui étouffé
dans fes replis jufqu’ à des quadrupèdes très-vigoureux.
Mais ce mode même de confervation
nous fournit encore une nouvelle preuve de l’utilité
que nous retirons du fens dont nous parlons
dans ce qui a rapport aux fonctions nutritives,
puifque certains animaux trouvent, au moyen de
l’odorat, les alimens qui leur conviennent 8c favent
en diftinguer les qualités. La plupart des animaux
chaffeursfont dans ce cas : c’eft en la fuivantà
la pifte qu’ ils parviennent à s’emparer de leur proie.
Au refte,en nous occupant des liaifons de l’odorat
8c du goût, nous aurons occafîon de nous étendre
plus au long fur ce fujet.
L’odont ferc-il l’imagination d’une manière
marquée ? feroit-il le fens de cette faculté , comme
le veulent Cardan, Rouffeau, Zimmermann?
l'aut il croire avec le fage Platon qu’ il ne peut
avoir aucune liaifon avec les idées , 8c que rien
n’ eft plus fugace que cette fenfation 8c les caufes
qui la produifent ? Ces expreffions, avoir le ne\
fin , vir benc muncîa naris , font--elles juftes ? font-
ce feulement des métaphores hafardées ? 8c ne
pouvons-nous pas avancer que^ les plus ftupides des
hommes 8c des animaux ont fouvent le meilleur
nez ? C ’eft: ce que j’efpère développer plus tard j
mais c’eft ici le lieu de dire que l’odorat eft une
fource abondante de plaifir. Bien certainement il
eft le fens des appétits violens : les tyrans des
animaux en font la preuve; mais, chez 1 homme,
il eft celui des fenfations douces, 8c délicatès,
celui des tendres fouvenirs; il eft encore celui
quelepoëtede l’ amour a recommandé de chercher
à féduire dans l’objet d'une vive affeétion : 8c il
en e ft, fous ce rapport, de l’odorat comme de
toutes les autres fenlations. On a en effet judicieu-
fement remarqué qu’il y avoit un plaifir vif attaché
à tous les actes de la fenfibilité. dans l’ économie
animale : tout ce qui met les organes en mouvement
fans les affoiblir, procure une jouifîance
réelle ; l’homme a un attrait naturel pour les
odeurs agréables, à peu près comme pour les
fons mélodieux, les fpe&acles, 8cc., & le voluptueux
Mohammed, que nous appelons Maho-
T t t