6o M a n i è r e d e .t r a i t e r
mefures géométriques. Je ne parlerai pas des Mécha-
niques , parce que la Méchanique rationnelle eft elle-
même une fcience mathématique & abftraite:, de laquelle
la Méchanique pratique ou l’art de faire & de.com-
pofer les machines , n’emprunte qu’un feul principe
par lequel on peut juger tous les effets en faifant abf-
traction des frottemens & des autres qualités phyfiques.
Aufft m’a - 1 - il toûjours paru qu’il y avoit une efpèce
d’abus dans la manière dont on profeffe la Phyfique expérimentale
, l’objet de cette Science n’étant point du tout
celui qu’on lui prête. La démonftration des effets mé-
chaniques, comme de la puiffimce des leviers, des poulies,
de l’équilibre des folides & des fluides, de 1 effet
des plans inclinez, de celui des forces centrifuges, &c.
appartenant entièrement aux Mathématiques, & pouvant
être faifie par les yeux de l’efprit avec la dernière évidence
, il me paroît fuperflu de la repréfenter à ceux du
corps ; le vrai but eft au contraire de faire des expériences
fur toutes les chofes que nous ne pouvons pas mefu-
rer par le calcul, fur tous les effets dont nous ne con-
noiffons pas encore les caufes, & fur toutes les propriétés
dont nous ignorons les circonftances, cela feul peut nous
conduire à de nouvelles découvertes ; au lieu que la
démonftration des effets mathématiques ne nous apprendra
jamais que ce que nous fçavions déjà.
Mais cet abus n’eft rien en comparaifon des incon-
véniens où l’on tombe lorfqu’on veut appliquer la
Géométrie & le calcul à des fujets de Phyfique trop
compliquez , à des objets dont nous ne connoiffons pas
affez les propriétés pour pou voir les meftirer ; on eft obligé
dans tous ces cas de faire des fuppofitions toûjours contraires
à la Nature, de dépouiller le fujet de la plupart
de fes qualités, d’en faire un être abftrait qui ne reffem-
ble plus à l’être réel, & lorfqu’on a beaucoup raifonné
& calculé fur les rapports & les propriétés de cet être
abftrait, & qu’on eft arrivé à une conclufion toute auflï
abftraite, on croit avoir trouvé quelque chofe de réel,
& on tranfporte ce réfultat idéal dans le fujet réel, ce qui
produit une infinité de fauffes conféquences & d’erreurs,
C ’eft ici le point le plus délicat & le plus important
de l’étude des fciences : fçavoir bien diftinguer ce qu’il
y a de réel dans un fujet, de ce que nous y mettons
d’arbitraire en le confidérant, reconnoitre clairement les
propriétés qui lui appartiennent & celles que nous lui
prêtons.,, me paroît être le fondement de la vraie méthode
de conduire fon efprit dans les fciences. ; & fi on ne
perdoit jamais de vûe ce principe, on ne feroit pas une
fauffe démarche, on éviterait de tomber dans ces erreurs
fçavantes qu’on reçoit fouvent comme des vérités, on
verrait difparoître les paradoxes, les queftions infolubles
des fciences abftraites, on reconnoîtroit les préjugés &
les incertitudes que nous portons nous - mêmes dans les
fciences réelles, on viendrait alors à s’entendre fur la Mé-
taphyfique des fciences, on cefferoit de dilputer, & on
fe réunirait pour marcher dans la même route à la fuite
de l’expérience , & arriver enfin à la connoiffance de
H iij.