d’étudier avec ordre, de réfléchir avec fruit, & de fe
frayer des routes pour arriver à des découvertes utiles.
On doit donc commencer par voir beaucoup & revoir
fouvent ; quelque néceflaire que l’attention foit à tout,
ici on peut s’en difpenfer d’abord : je veux parler de
cette attention fcrupuleufe, toujours utile lorfqu’on fçait
beaucoup, & fbuvent nuifible à ceux qui commencent à
s’inftruire. L ’effentiel eft de leur meubler la tête d’idées
& de faits, de les empêcher, s’il eft pofftble , d ’en tirer
trop tôt des raifonnemens & des rapports ; car il arrive
toûjours que par l’ignorance de certains faits, & par la
trop petite quantité d’idées, ils épuifent leur efprit en
fàufles combinaifons , & fe chargent la mémoire de con-
féquences vagues & de réfultats contraires à la vérité,
iefquels forment dans la fuite des préjugés qui s’effacent
difficilement.
C ’eft pour cela que j’ai dit qu’il falloit commencer par
voir beaucoup ; il faut aufli voir prefque fans deflein, parce
que fi vous avez réfolu de ne confidérer les chofes que
dans une certaine vûe, dans un certain ordre, dans un
certain fÿftème, euffiez-vous pris le meilleur chemin, vous
n’arriverez jamais à la même étendue de connoilfances à
laquelle vous pourrez prétendre, fi vous laiflez dans les
commencemens votre efprit marcher de lui-même, fè
reconnoître, s’affurer fans fecours, & former feul la première
chaîne qui repréfente l’ordre de les idées.
Ceci eft vrai fans exception, pour toutes les perfonnes
dont l’elprit eft fait & le raifonnement formé ; les jeunes
gens au contraire doivent être guidez plûtôt & confeillez
à propos, il faut même les encourager par ce qu’il y a de
plus piquant dans la fcience, en leur faifant remarquer
les chofes les plus fingulières , mais fans leur en donner
d’explications précifes ; le myftère à cet âge excite la
curiohté, au lieu que dans l’âge mûr il n’infpire que le
dégoût ; les enfans fe faffent aifément des chofes qu’ils
ont. déjà vûes, ils revoient avec indifférence, à moins
qu’on ne leur préfente les mêmes objets fous d’autres
points de vûe ; & au lieu de leur répéter Amplement ce
qu’on leur a déjà dit, il vaut mieux y ajoûter des cir-
conftances, même étrangères ou inutiles; on perd moins
à les tromper qu’à les dégoûter.
Lorfqu’après avoir vû& revû plufieurs fois les chofes >
ils commenceront à fe les repréfenter en gros, que
d’eux-mêmes ils fe feront des divifions, qu’ils comment
ceront à apercevoir des diftinétions générales, le goût
de la fcience pourra naître, Si il faudra l’aider. Ce goût
fi néceflaire à tout, mais en même temps fi rare, ne fe
donne point par les préceptes ; en vain l’éducation voudrait
y fuppléer, en vain les pères contraignent-ils leurs
enfàns, ils ne les amèneront jamais qu’à ce point commun
à tous les hommès, à ce degré d’intelligence & de
mémoire qui fuffit à la fociété ou aux affaires ordinaires ;
mais c eft a la Nature à qui on doit cette première
etincelfe de genie, ce germe de goût dont nous parlons,
qui fe développe enfùite plus ou moins, fuivant les différentes
circonftances & les différens objets.