8 M a n i è r e de t r a i t e r
Auffi doit-on préfentcr à 1’efprit des jeunes gens des
chofes de toute efpèce, des études de tout genre, des
objets de toutes fortes, afin de reconnoître le genre
auquel leur efprit fe porte avec plus de force, ou felivre
avec plus de plaifir : l’Hiftoire Naturelle doit leur être
préfentée à fon to u r, & précifement dans ce temps où
la raifon commence à fe développer, dans cet âge où
ils pourraient commencer à croire qu’ils fçavent déjà
beaucoup ; rien n’eft plus capable de rabailfer leur amour
propre, & de leur faire fentir combien il y a de chofes
qu’ils ignorent ; & indépendamment de ce premier effet
qui ne peut qu’être utile, une étude même légère de
l ’Hiftoire Naturelle élevera leurs idées, & leur donnera
des connoiffances d’une infinité de chofes que le commun
des hommes ignore, & qui fe retrouvent fouvent
dans l’ufàge de la vie.
Mais revenons à l’homme qui veut s’appliquer férieu*
fement à l’étude de la Nature, & reprenons-le au point
où nous l’avons laiffé, à ce point où il commence à géné-
ralifer les idées, & à fe former une méthode d ’arrangement
& des fÿftèmes d’explication : c’eft alors qu’il doit
confulter les gens inftruits, lire les bons auteurs, examiner
leurs différentes méthodes, & emprunter des lumières de
tous côtés. Mais comme il arrive ordinairement qu’on fe
prend alors d’affection & de goût pour certains auteurs,
pour une certaine méthode, & que fouvent, fans un examen
affèz mûr, on fe livre à un fÿftème quelquefois mal
fondé, il eft bon que nous donnions ici quelques notions
préliminaires
préliminaires fur les méthodes qu’on a imaginées pour
faciliter l’intelligence de i’Hiftoire Naturelle: ces méthodes
font très-utiles, lorfqu’on ne les emploie qu’avec les
reftriétions convenables; elles abrègent le travail, elles
aident la mémoire, & elles offrent à l’efprit une fuite
d ’idées, à la vérité compofée d’objets différens entr’eux,
mais qui ne laiffent pas d’avoir des rapports communs,
& ces rapports forment des impreffions plus fortes que
ne pourraient faire des objets détachez qui n’auroient
aucune relation. Voilà la principale utilité des méthodes,
mais 1 inconvénient eft de vouloir trop alonger ou trop
refferrer la chaîne, de vouloir foûmettre à des loix arbitraires
les loix de la Nature, de vouloir la divifer dans
des points ou elle eft indivifible, & de vouloir mefurer fes
forces par notre foibie imagination. Un autre inconvénient
qui n eft pas moins grand, & qui eft le contraire du
premier, c eft de s’aflùjétir à des méthodes trop particulières,
de vouloir juger du tout par une, feule partie , de
réduire la Nature à de petits fÿftèmes qui lui font étrangers
, & de fes ouvrages immenfes en former arbitrairement
autant d aflèmblages détachez ; enfin de rendre , en
multipliant les noms & les repréfentations, la langue de
la fcience plus difficile que la Science elle-même.
Nous fommes naturellement portez à imaginer en tout
une efpèce d ordre & d uniformité, & quand on n’examine
que légèrement Içs ouvrages de la Nature, il paraît
a cette première vûe, qu’elle a toûjours travaillé lùr un
meme plan : comme nous ne connoiffons nous-mêmes
Tome I. j}