
Tel est le fond des objets positifs qu’embrasse le
champ des réalités ; et c’est dans ce champ seul que
nous pouvons recueillir des vérités utiles et exemptes
d’illusions.
Champ de Vimagination : ce champ, bien différent
du premier et au moins aussi vaste, est celui des
fictions, des suppositions arbitraires, et des illdsioris
de tout genre.
La pensée de l’homme se plaît à s’enfoncer dans
celui-ci, quoique rien n’y soit observable, et qu’elle
ne puisse y rien constater; mais elle y crée arbitrairement
tout ce qui: peut l’intéresser, la charmer ou
la flatter. Elle y parvient en modifiant les idées que les
objets réels du premier champ lui ont fait acquérir.
C’est un fait singulier et auquel il mé paraît que
personne n’a encore pensé ; savoir : que Y imagination
de l’homme ne saurait créer une seule idée qiiî
ne prenne sa source dans celles qu’il s’est procurées
par scs sens.
, Avec des idées: simples que les sensations lui ont
fait acquérir, l’homme, en les comparant et- les jugeant
, en obtient des idées complexes du premier
ordre; en comparant et jugeant deux ou davantage
des idées de cet ordre, il en obtient d’autres d’un
ordre plus relevé; enfin, avec celles-bi, ou avec
d’autres qu’il y joint, de quelqu’ordre qu’elles soient,
il s’en procure d’autres encore , et ainsi de suite prés-
qu’indéfiniment. Partout ses conséquences, et par
suite toutes les idées qu’il se forme, prennent donc
leur source dans les idées simples et premières que
son système organique des sensations lui a fait acquérir.
Que l’on joigne à cette voie de multiplier ses idées,
celle de s’en former d’autres encore, en modifiant arbitrairement
les idées de tous les ordres qui tirent
leur origine de ses sensations et de ses observations,
on aura le complément de tout ce que peut produire
Yimagination humaine.
En effet, tantôt par des contrastes ou des oppositions,
elle change l’idée qu’elle s’est formée du fini,
en celle de l’infini; et de meme, elle change l’idée
quelle s’est procurée d’une matière ou d’un corps,
en celle d un etre immatériel. Or, jamais la pensée
ne fut arrivée a ces transformations, en un mot, à
ces idées changées, sans les modèles positifs dont elle
s est servie. Tantôt, encore, variant à son gré des formes
connues d après les corps, des propriétés observées
en eux, et les plus éminens phénomènes qu’ils
produisent , la pensée de l’homme donne à des êtres
fantastiques, des formes, des qualités et un pouvoir
qui répondent- à tous les prodiges qu’elle se plaît à
inventer sous différens intérêts. Partout, néanmoins,
elle est assujetie à n opérer ces transformations, ces
actes d’invention, que sur des modèles que le champ
des réalités lui fournit; modèles quelle modifie de
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