LE HÉRISSON D’EUROPE.
I l existe quelques animaux, et le Hérisson entre autres, qui manifestent particulièrement
l’intention qu’a eue la nature de les conserver. En effet, l’existence
de la plupart des autres Mammifères semble reposer autant sur cette espèce
d’équilibre qui constitue proprement l’économie de la nature, que sur les moyens
qu’ils ont reçus pour la préserver. Ceux qui attaquent, ceux qui se défendent,
ceux qui fuient, ceux qui se cachent, sont réciproquement arrivés, dans chaque
contrée, à un nombre à peu près fixe, et qui ne pourrait pas changer pour
quelques-uns, sans changer aussi pour les autres. Si des circonstances fortuites,
par exemple , favorisaient chez nous la multiplication des Mammifères carnassiers,
les espèces dont ils se nourrissent en seraient nécessairement les victimes,
ou eux - mêmes périraient de misère et de faim ; ni les uns ni les autres ne
pourraient, par leur propre activité, résister aux effets de ces circonstances. Le
Hérisson par contre n’est point aussi exclusivement soumis à l’influence des
causes qui l’environnent : ses moyens de défense sont en quelque sorte indépendants
du nombre de ses ennemis; malgré sa faiblesse, il peut braver leur
atteinte, et c’est dans son activité même qu’il trouve ses ressources. Les épines
dont il a la faculté de s’envelopper, et qui se redressent en rayonnant autour
du cercle dont il est le centre, sont pour lui un rempart, devant lequel les animaux
qui pourraient être tentés d’en faire leur proie reculent invinciblement.
Mais dans quelle vue une faveur aussi particulière a-t-elle été accordée à un
animal qui, par sa petitesse, son silence, sa vie obscure, l’exiguité de ses besoins,
se trouvait caché à tous les yeux, soustrait à tous les ennemis ? On le dirait
destiné à jouer, dans cette économie de la nature, un rôle important et nécessaire
; et cependant ses moeurs, ses appétits, ses instincts se retrouvent à peu
près dans d’autres Mammifères, bien moins garantis que lui contre les dangers,
et qui néanmoins parviennent à se conserver : les Taupes, les Musaraignes et
tous les Rongeurs omnivores se nourrissent, comme le Hérisson, de Vers, d’insectes,
de racines ou de fruits; aussi la plupart, ainsi que cet animal, fuient le
jour, se cachent dans des retraites silencieuses ; et l’intelligence des uns et des
autres semble bornée à la faculté de distinguer, parmi le petit nombre de causes
qui peuvent agir sur eux, celles qui sont capables de leur nuire, de celles qui
pourraient leur être utiles! Il ne nous est pas donné de résoudre cette question,
sans doute parce qu’elle n’est point encore renfermée pour nous dans le cercle
des causes prochaines, les seules qui puissent faire l’objet de nos connaissances.