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qu’il a soumis et qu’il s’est associés. L’exemple que nous donnons aujourd’hui
fait voir que la domesticité n’est pas une condition nécessaire à la production
de ce phénomène3 que la servitude peut seule en être la cause, et qu’un long
esclavage n’est pas même nécessaire pour cela : les animaux à qui nous le devons
sont fort' jeunes, et ils n’étaient réunis que depuis six mois environ dans la même
loge, lorsque le rut de la femelle s’est manifesté, et que le mâle l’a couverte. Ces
animaux ne vivaient même pas dans une fort bonne intelligence : 011 ne les voyait
point jouer ensemble 3 chacun se tenait dans le coin qu’il avait choisi, et la femelle,
qui était la plus forte, faisait souvent sentir sa supériorité au mâle.
Ces animaux étaient ceux que nous avons publiés précédemment, le mâle sous
le nom de Chacalj de l’Inde, et la femelle sous celui de Chacal du Sénégal. Ce
fut vers la fin de décembre 1821 que celle-ci donna des indices de rut, et
le 26 elle fut couverte 3 l’accouplement se fit avec toutes les circonstances qui
l’accompagnent chez le Chien 3 il se renouvela plusieurs fois les jours suivants,
et l’on eut bientôt la preuve que la conception avait eu lieu. Au bout de soixante-
deux jours, c’est-à-dire le ier mars 1822, cinq petits naquirent fort heureusement
3 et leur mère, malgré l’inquiétude extrême qu’elle éprouvait, finit par les
adopter. C’est un fait bien remarquable que celui de cette adoption des petits
par leur mère! Le sentiment qui l’occasionne, et qui paraît se produire instantanément
chez toutes les femelles, au moment de la naissance de leurs petits, lorsqu’elles
se trouvent en sécurité, paraît ne se développer que d’une manière imparfaite,
et même ne point se développer du tout, quand elles sont dans un état
de contrainte : il semble que les sentiments qui naissent de cet état s’opposent
à ce que celui de l’amour maternel se produise3 qu’ils dominent exclusivement
l’animal, et que c’est à eux qu’il faut attribuer ces actions monstrueuses dans
lesquelles nous voyons des mères dévorer leurs propres enfants. La première
manifestation du sentiment maternel consiste dans les soins que les femelles
prennent de nettoyer leurs petits dés mucosités qui les recouvrent au moment
de leur naissance 3 mais on ne peut compter sur toute sa force qu’après
qu’elles les ont reçus à l’allaite^ient3 jusque-là elles peuvent toujours les méconnaître
et les détruire, ou les abandonner. C’est surtout pour la première portée
que ces accidents sont à craindre3 les portées suivantes y sont moins* exposées,
toutes choses égales d’ailleurs, vraisemblablement parce que l’organisation de
l’animal a acquis plus de développement, plus de perfection, et qu’il peut résister
aveé plus de force aux causes physiques et morales capables de lui porter
atteinte.
Nos petits Mulets, au moment de leur naissance, avaient sept pouces du bout
du museau à l’origine de la queue3 celle-ci avait deux pouces et demi, et la tête,
du bout du museau à l’occiput, deux pouces. Les oreilles et les yeux étaient
fermés : la conque de l’oreille, rabattue et appliquée sur le coté de la* tête, restait
libre, mais ses tubercules obstruaient l’entrée du canal auditif3 ils étaient engrenés
l’un dans l’autre, et tellement joints, que l’occlusion était complète. Les yeux
étaient fermés de même par l’intime adhérence des paupières, et cest vers le
dixième jour que ces organes se sont ouverts 3 ce qu on observe aussi chez les
jeunes Chiens. Les narines, la bouche, et les voies excrémentitielles étaient ouvertes.
Ces jeunes animaux étaient revêtus d’un pelage doux et épais, dapparence
laineuse sur le corps, et soyeuse sur la tête et les pattes. Ce pelage était génév
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ralement d un beau gris d’ardoise-, auquel se mêlait une teinte fauve sur le chan-
frein, le devant des oreilles, le cou, et les membres antérieurs. Les parties infé-
rieures étaient d’un gris-pâle, et on voyait une ligne blanche transversale sur la
poitrine,-entre les deux jambes de devant. La queue était noire. Les poils laineux
étaient généralement fauves, excepté à leur pointe, qui était noire; et cette dernière
couleur était celle des poils soyeux.
Cette-teinte grise s’est graduellement changée en un fauve sale, et après
quarante-neuf jours elle était telle que la fait voir notre dessin. Le dessus du
museau et des oreilles était d’un fauve plus pur, et l’on voyait du blanc au-
dessus et au-dessous de l’oeil, et sur les côtés des joues. La queue avait pris la
teinte fauve du corps, excepté quelques poils noirs qui formaient une petite tache
à sa partie supérieure. Aujourd’hui, c’est-à-dire à la fin du troisième mois ces
animaux n’ont éprouvé aucun autre changement. Durant l’allaitement, trois de
ces jeunes Mulets sont morts; les deux qui restent, et qui sont bien portants
nous ont montré, et en quelque sorte dès le moment de leur naissance, une
différence de caractère, de disposition naturelle, bien remarquable pour des ani-
maux de race sauvage, et qui, dans les quinze premiers jours de leur vie, ont
tout-à-fait été abandonnés aux soins de la nature, et soustraits même à l’influence
de la lumière, tant on craignait que l’effroi de leur mère ne leur devînt nuisible.
Lorsqu’on a pu les voir sans danger pour eux, et pénétrer dans leur loge, l’un
n’a montré aucune crainte, et l’autre au contraire a témoigné l’effroi le plus vif.
Dés lors cette différence s’est conservée, quoiqu’ils aient été élevés ensemble et
par les mêmes soins : le premier est devenu familier, et promet même de devenir
affectueux; le second est resté sauvage, et donne lieu de craindre que les meilleurs
traitements ne puissent suffire pour l’apprivoiser. Ces exemples,, au reste,
sont fréquens chez les animaux, et montrent bien le peu d’influence de l’éducation
sur le naturel; heureusement que l’Homme a, de plus que les animaux, la
raison en partage, et qu’on peut demander à sa volonté ce qu’on ne pourrait
exiger de son caractère.
Décembre 1821,