LE LOIR.
L e goût est peut-être de tous les sens de l’homme celui qui a le moins de fixité,
qui peut le plus facilement être flatté ou repoussé, qui est le plus susceptible
de se prêter aux hasards des circonstances, à la variété des situations; et cette
disposition n’est pas uite des moindres causes de la puissance de l’espèce humaine
et de l’empire qu’elle s’est acquis sur toute la nature son sens du goût a su se
prêter à toutes les saveurs, et trouver du plaisir dans toutes les espèces de
nourriture ; c’est-à-dire que partout elle a pu vivre. Aussi rien ne paraît varier
autant que l’usage des aliments et que l’art de les apprêter. L’animal qui fait le
sujet de cet article en est un exemple. C’est à peine s’il est connu dans les lieux
dont il est originaire, dans les parties méridionales de l’Europe; et il était pour
les Romains un mets si recherché , que leurs censeurs furent forcés de le défendre.
Ce peuple élevait des Loirs en grand nombre, les nourrissait avec soin
dans des tonneaux ou dans des parcs, comme nous-mêmes nous nourrissons des
Lapins. Pline (liv. VIII, chap. 67 et 68) attribue à f ulvius Lupinus, l’art de les
élver en domesticité; et il dit qu’ils ne se trouvaient en Italie que dans la forêt
Messienne, ce qui sans doute est une erreur comme plusieurs autres qu’il rapporte,
et que nous ne jugeons pas devoir répéter. Varron {de Re Rustica) décrit
la disposition des lieux qui leur sont les plus favorables; et Apicius, les meilleurs
procédés pour les bien apprêter. Aujourd’hui les Loirs ne sont plus guère pour
nous que des animaux nuisibles; il paraît cependant que dans quelques parties
de l’Italie on les mange encore, lorsqu’on les découvre en hiver; mais ils ne
sont plus un objet d’industrie, n’étant plus un sujet de besoin. Leur genre de
vie est analogue à celui des Écureuils : ils vivent sur les grands arbres et dans
les forêts ; mais au lieu de se construire un nid aussi ingénieusement que le
font ces derniers animaux, ils se cachent dans les trous des arbres ou des rochers
où ils se contentent de ramasser des fruits et de la mousse ; c’est là où ils passent
le jour, car ce sont des animaux qui fuient la grande lumière; et ils s’y retirent
lorsque l’arrivée dès froids vient les plonger dans le sommeil léthargique où,
comme les Marmottes, ils tombent dès que l’hiver arrive, et dans lequel ils
restent ensevelis jusqu’au retour du printemps. Leur nourriture principale consiste
dans les fruits sauvages, la faine, les noisettes, etc., etc. On assure qu’ils
mangent aussi les petits oiseaux qu’ils surprennent dans le nid ; ce qui me paraît
d’autant plus croyable, que j’ai vu des Lérots, espèce du même genre que le
Loir, se dévorer entre eux; leur cri de colère est aigu, et très-aigre. C’est au