On peut juger par ces figures de la physionomie de cet animal, caractériser principalement
l’épaisseur de son mufle, la pesanteur de sa tête, la brièveté de son cou
et la hauteur de ses jambes. Les Cerfs ont en général des formes agréables, et leurs
allures sont légères 5 tous leurs mouvemens annoncent la vivacité de leurs impressions
et la contractilité de leurs muscles ; en un mot, leur agilité égale leur élégance et
leur force. L’Orignal au contraire parait lourd et lent, dépourvu de toute ardeur et
aussi peu doué d’énergie morale que d’énergie physique. .
Ces différences de formes et de naturel sont même si grandes et si frappantes,
que, quand les voyageurs réunissent les Cerfs sous un nom commun, ils en séparent
constamment les Élans ; c’est qu’en effet cette espèce est isolée dans son genre,
et formerait le type d’un groupe très-natprel, si la division des Cerfs devenait nécessaire
à leur étude.
Les membres de l’Orignal sont longs, forts et d’égale longueur ; les antérieurs sont
termines en avant par deux doigts fort courts, reunis jusquaux ongles au moyen
d’une membrane épaisse et étroite; les ongles sont en forme de sabots; en arrière ces
membres ont deux doigts courts engagés sous la peau, susceptibles de quelques mouvemens
et terminés par un ongle allongé, plat et arrondi vers le bout, qui, dans la
marche, pose légèrement à terre. Les membres postérieurs ne diffèrent point des antérieurs
, seulement les ongles des doigts rudimentaires sont plus courts. La queue est
très-courte. L’oeil est petit, sans larmier, situé sous la partie antérieure de la base du
bois, c’est-à-dire de la meule; et sa pupille, comme celle de tous les autres ruminans,
est transversale. Les paupières externes sont grandes, et l’interne, quoiqu’en rudiment,
est épaisse. Les narines sont ouvertes sur les côtés de la lèvre supérieure ; elles
sont allongées et susceptibles de dilatation et de contraction par le rapprochement et
l’éloignement de leur partie supérieure comme dans l’Élan ; les os du nez sont fort
reculés au-dessus du museau, et toute la portion des narines qui se trouve dans cette
partie de la tête est cartilagineuse et mobile.
L’oreille naît en arrière des bois, elle est grande, large et terminée en pointe; sa
structure est simple ; on n’y remarque qu’un bourrelet transversal, assez fort à la
partie postérieure de sa paroi interne ; bourrelet qui se termine antérieurement par
un tubercule, au-dessous duquel est l’orifice du canal auditif.
La langue est douce, et c’est dans la lèvre supérieure qu’est le caractère le plus
remarquable des parties de la bouche ; elle se prolonge au-delà des mâchoires, est
tronquée carrément en avant et d’une grande mobilité; sous ce rapport c’est un
véritable organe de préhension; elle n’est point, comme dans la plupart des autres
espèces de Cerfs, surmontée par un mufle, elle est entièrement revêtue de poil ;
seulement on remarque dans sa partie moyenne un petit espace triangulaire entièrement
nu, mais non point glanduleux ; les bords des lèvres très-irréguliers, festonnés
même à la lèvre inférieure, sont par contre couverts de glandes; et vers leurs
commissures ils sont garnis de nombreux appendices charnus, coniques, de quatre
à cinq lignes de longueur et semblables à des tentacules.
Le pelage est lisse et grossier ; les poils sont longs et épais, et de deux natures. Les
soyeux sont les plus nombreux, et ils composent à eux seuls la couche extérieure du
pelage; ils sont secs et cassans, gauffrés, applatis. Les laineux sont courts, fins et
assez nombreux en hiver ; les premiers sont plus courts et plus gauffrés sur les membres,
la tête et les oreilles, que sur les autres parties du corps. A partir de l’occiput,
ils s allongent et forment dans cette partie une sorte de crinière séparée en deux
parties par la ligne moyenne, et qui sW t e subitement après l’épaule. Le dessous
de la gorge est également garni de longs poils, au milieu desquels se trouve une
caroncule charnue portée par un pédicule assez mince. L’abdomen est couvert de
pods épais et qui présentent cette circonstance singulière, que leur direction est inverse
de celle des poils des autres parties du corps, qu’ils se portent d’arrière en
avant au lieu de se porter d’avant en arrière.
Dans son pelage d’hiver l’Orignal est d’un brun presque noir, à l’exception de
ses membres, qui sont d’un fauve grisâtre pâle; et de la crinière, qui est fauve
brun. Les côtés de la tête sont d’un brun brillant très-foncé; le bout du museau a une
teinte plus grise, et le front en a une plus rousse. L’intérieur de l'oreille est blanc-
les poils laineux sont gris dans toute leur longueur; les soyeux sont gris à leur base’
et dans le reste de leur étendue, de la couleur des parties qu’ils recouvrent. Les
sabots sont noirs ; l’iris est d’un brun jaunâtre et les bois d’un gris fauve.
Dans son pelage d’été cet animal a généralement une teinte plus brune ou plus
tauve. Lest a sa seconde année que je l’ai vu pendant cette saison; il n’avait pas
encore cette crinière qui s’est développée pendant l’hiver; cette différence tiendrait-
elle a lâge ou à l’époque de l’année, c’est ce que je ne puis dire.
Pendant cette deuxième année, les bois qui formaient la première tête étaient
simples, longs de sept à huit pouces,un peu couchés en avant, et leur diamètre moyen
était de quinze à seize lignes.
La seconde léte, c’est-à-dire les bois de la troisième année, n’étaient point encore'
élargis, navaient point encore d’empaumure; le merrain était arrondi, fourchu à
son extrémité, et armé à sa base d’un maître andouiller, dirigé en avant et un peu
sur le côte. Ces bois avaient de seize à dix-huit pouces de hauteur.
Nous avons dû cet animal aux soins de M. Milbert, qui nous a déjà donné les
moyens de faire connaître exactement un grand nombre des animaux de l’Amé-
nque septentrionale, et dont les soins actifs et continus nous promettent encore de
nombreuses richesses. Tant que nous l’avons eu il a été fort doux, fort paisible;
malheureusement nous n’avons pu le conserver que pendant deux ans environ Des
hydatides qui s’étaient développés en grand nombre dans son cerveau et dans ses
intestins, l’ont fait mourir. Toutes ses habitudes nous ont fait voir qu’il était spécialement
destiné à vivre dans les forêts et à se nourrir des branches des arbres ou
des arbrisseaux; d’abord c’était la nourriture qu’il préférait à tout autre; mais
de plus, 1 extrême brièveté de son cou ne lui permettait d’abaisser sa tête jusqu
à terre qu avec beaucoup de peine, et ordinairement lorsqu’il voulait paître il
se mettait à genoux ou se couchait tout-à-fait. Il n’a jamais fait entendre sa voix,
et a passé tout le tems que nous l’avons eu dans un continuel état d’indolence, soit
qu à son arrivée il ait déjà été atteint de la maladie qui nous l’a enlevé, Soit que
le changement du climat eût encore augmenté sa lenteur naturelle, bien connue
d ailleurs par ce qu’en ont rapporté les nombreux voyageurs qui l’ont vu depuis
La Hontan jusqu’à Mackensie, dans les immenses forêts qui font sa demeure ordinaire.
Le premier nous dit en effet que l’Orignal ne court ni ne bondit, et ne va
qu’au trot; et il ajoute que les Sauvages assurent qu’il peut aller ainsi trois jours de
suite. 11 paraît qu’aujourd’hui il est renfermé entre le 4.0*. et le 60'. degrés de latitude.
L’amour chez cette espèce commence dès le mois d’août, et les femelles
mettent bas en juin ; la portée, conséquemment, est d’environ dix mois.