ne se montre pas seulement dans le danger, et les soins que les femelles prennent
de leurs petits sont si tendres, si recherchés, qu’on serait tenté de les attribuer
à un sentiment raisonné. C’est un spectacle curieux, dont, à force de précau-
tions, j ’ai pu jouir quelquefois, que de voir ces femelles porter leurs enfants à
la rivière, les débarbouiller malgré leurs plaintes, les essuyer, les sécher, et
donner à leur proprété un temps et des soins que dans bien des cas nos propres
enfants pourraient envier.
a Les Malais m’ont affirmé un fait dont je doutais alors, mais que je crois avoir
constaté depuis : c’est que les petits Siamangs, trop jeunes encore pour aller seuls,
sont toujours portés par des individus du même sexe qu’eux; par leurs pères s’ils
sont mâles, et par leurs mères s’ils sont femelles. Us m’ont également assuré que
cette espèce devenait souvent la proie des Tigres, par le fait de cette sorte de
charme qu’on a déjà dit que les Serpents exercent sur les oiseaux, les Écu-
reuds, etc. Je ne puis rien vous apprendre sur leur mode d’accouplement, sur la
durée de la gestation, etc. Ces faits mystérieux sont ignorés des Malais eux-
mêmes, les Siamangs n’ayant point encore produit en esclavage. Au reste la servitude,
quelque soit sa durée, ne paraît modifier en rien les défauts caractéristiques
de ce Singe, sa stupidité, sa lenteur, sa maladresse. A la vérité il devient en peu
de jours aussi doux qu’il était sauvage; aussi privé qu’il était farouche; mais,
toujours timide, on ne lui voit jamais la familiarité qu’acquièrent bientôt les autres
espèces du même genre; et sa soumission paraît tenir plutôt à son extrême apathie,
qu’à un degré quelconque de confiance ou d’affection. Il est à peu près également
insensible aux bons et aux mauvais traitements ; la reconnaissance, la haine,
paraissent être des sentiments étrangers à ces machines .animées. Tous leurs sens
sont grossiers; s’ils fixent un objet, on voit que c’est sans intention; s’ils y
touchent c’est sans le vouloir. Le Siamang, en un mot, est l’absence de toute
faculté; et^ si l’on classe jamais les animaux d’après leur intelligence, celui-là
occupera sûrement une des dernières places. Le plus souvent accroupi, enveloppé
dans ses longs bras, et la tête cachée entre ses jambes; position qu’il a aussi en
dormant, le Siamang ne fait cesser son immobilité et ne rompt le silence qu’en
poussant par intervalle un cri désagréable, assez approchant de celui du Dindon,
mais qui ne paraît motivé par aucun sentiment, par aucun besoin, et qui en
effet n’exprime rien; la faim elle-même ne,peut le tirer de sa léthargie naturelle
: en esclavage îl prend-^Trfiments avec-indifférence, les porte à sa bouche
sans avidité, et se les voit enlever sans étonnement. Sa manière de boire est en
harmonie avec ses autres habitudes; elle consiste à plonger ses doigts dans l’eau,
et à les sucer ensuite. »
Après ces intéressants détails, M. A. Duvaucel nous fait connaître les organes
du Siamang. Cet animal, semblable à tous les Gibbons, et la plus grande espèce
de ce genre, n’a ni abajoues ni queue, et ses bras sont d’une longueur démesurée,
quoiqu’un peu moindre que celle des bras du Wouwou. Sa figure nue
est extrêmement laide, ce qui est principalement dû à son front réduit aux
arcades sourcillières, à ses yeux enfoncés dans leurs orbites, à son nez large,
aplati, dont les narines, placées sur les côtés, sont très-grandes, à sa bouche
ouverte presque jusqu’au fond des mâchoires, à ses joues enfoncées sous des
pommettes saillantes, et à son menton en rudiment. Si l’on ajoute à ces traits la
grande poche nue, onctueuse et flasque en forme de goitre que cette espèce
LE SIAMANG. 3
a sous la gorge, toutes les autres parties de son corps revêtues d’un poil brillant,
long, doux, épais, et d’un noir foncé, excepté les sourcils et le menton où
ils sont roussâtres, et ses jambes arquées, tournées en dedans, et qui restent
toujours en partie fléchies, on se fera du Siamang une idée assez juste et qui ne
sera rien moins qu’agréable. La poche gutturale dont nous venons de parler a
la faculté de s’étendre et de se gonfler, ce qui arrive lorsque l’animal crie. Le
scrotum est recouvert de poils longs et droits, réunis en un pinceau qui descend
quelquefois jusqu aux genoux. Les mâles sont facilement reconnaissables à
ce caractère, et les femelles à la nudité de leur poitrine et de leur ventre, et à
leurs mamelles un peu saillantes, terminées par un gros mamelon. Un caractère
commun aux deux sexes et qui ne se trouve pas chez le Wouwou, mais qu’on
observe sur beaucoup d’autres Singes, c’est la disposition des poils de l’avant-bras
dirigés en arriére, qui rencontrant ceux qui descendent de l’humérus, forment sur
le coude une sorte de manchette. Mais le caractère le plus remarquable du Sia-
mang, et qui pourrait servir à la formation d’un sous-genre chez les Gibbons, si
leur nombre le rendait nécessaire, c’est la réunion de l’index au médius par une
membrane très-étroite, et qui s’étend jusqu’à la base de la première phalange. Du
reste les pieds et les mains de cet animal, et tous les organes dont nous ne parlons
point ici en détail, sont semblables à ce que nous avons vu de ces mêmes
organes chez le Wouwou. La taille du Siamang peut s’élever jusqu’à trois pieds
six pouces, et le sexe ni l’âge ne paraissent rien changer à ses couleurs.
M. Raffles qui a déjà donné une courte'description du Siamang, comme nous
l’avons dit au commencement de cet article, rapporte qu’on en a vu d’entièrement
blancs; et il donne à cette espèce le nom de Syndactile, à cause de la
singulière particularité que présente la main de cet animal, nom qui sans doute
sera conservé dans les Catalogues méthodiques.