faisait toujours souffrir, obéissait à sa voix, montrait la soumission la plus entière,
e t , sous ces divers rapports, ne différait presque en aucune manière du Chien
domestique le plus privé. Cependant son maître, étant obligé de s’absenter, en fil
don à la Ménagerie du Roi : là, enfermé dans une loge, cet animal fut plusieurs
semaines sans montrer aucune gaieté et mangeant à peine 5 mais sa santé se rétablit}
il s’attacha à ses., gardiens, et paraissait avoir oublié toutes ses affections
passées, lorsque après dix-huit mois ce maître revint. Au premier mot que celui-ci
prononça, le Loup, qui ne l’apercevait point dans la foule, le reconnut, et il
témoigna sa joie par ses mouvements et ses crisj mis en liberté, il couvrit aussitôt
de ses caresses son ancien ami, comme aurait fait le Chien le plus attaché, après
une séparation de quelques jours. Malheureusement il fallut se quitter une seconde
fois, et cette séparation fut encore la source d’une profonde tristesse} mais le temps
amena le terme de ce nouveau chagrin. Trois ans s’écoulèrent, et notre Loup
vivait très-heureux- avec un Chien qu’on lui avait donné pour qu’il pût jouer.
Après cet espace de temps, qui certainement aurait suffi pour que le Chien de
la race la plus fidèle oubliât son maître, celui du Loup revint} *c’était le soir,
tout était fermé, les yeux de l’animal ne pouvaient le servir} mais la voix de ce
maître chéri ne s’était point effacée de sa mémoire : dès qu’il l’entend, il le
reconnaît, lui répond par des cris, qui annoncent des désirs impatients} et aussitôt
que l’obstacle qui les sépare est levé, les cris redoublent} l’animal se précipite,
pose ses deux pieds de devant sur les épaules de celui qu’il aime si vivement,
lui passe sa langue sur toutes les i parties de son visage, et menace de ses dents
ses propres gardiens qui osent approcher, et auxquels, un moment auparavant, il
doiyiait encore des marques d’affection. Une telle jouissance, n’ayant pas le temps
de s’épuiser, devait amener une peine cruelle : il fut nécessaire de se séparer
encore ! Aussi, après cet instant pénible, le Loup devint triste, immobile} il
refusa toute nourriture, maigrit} ses poils se hérissèrent comme ceux de tous
les animaux malades : au bout de huit jours il était méconnaissable , et nous
eûmes long-temps la crainte de le perdre. Sa santé s’est heureusement rétablie} il
a repris son embonpoint et son brillant pelage} ses gardiens peuvent de nouveau
l’approcher} mais il ne souffre les caresses d’aucune autre personne, et ne répond
que par des menaces à celles qu’il ne connaît point.
Ce récit, dont j ’ai plutôt adouci qu’exagéré les expressions, ne ressemble guère
sans doute à ce qu’on rapporte généralement du naturel du Loup} mais on ne
connaît cette espèce que par ce qu’ont fait voir les individus de nos forêts, qui
vivent entourés d’ennemis et de dangers, et chez lesquels il ne peut se développer
d’autres sentiments que ceux de la crainte, de la défiance et de la haine;
et nous avons pu nous assurer que les Chiens élevés de la sorte deviennent tout
aussi sauvages, tout aussi féroces que des Loups, sans cependant l’être aussi
profondément : tant il est vrai que, pour connaître le naturel d’une espèce, c’est-
à-dire ses dispositions intellectuelles fondamentales, il faut l’avoir vue dans toutes
les circonstances qui sont propres à les rendre sensibles, à les manifester.
Au reste, quelque extraordinaire que puisse paraître le sentiment dont nous
venons de parler, on en trouve du moins l’origine dans l’attachement que les
Louveteaux ont l’un pour l’autre, dans la tendresse des Louves pour leurs petits,
et dans l’affection qui accompagne constamment l’amour physique} mais où
découvrir l’origine, le germe de ce besoin de caresses, poussé jusqu’à la fureur,
que quelques Mammifères éprouvent, et dont une Louve nous donne aujourd’hui
1 exemple / Jamais on ne voit les Loups ni les Chiens se donner ce genre de témoignage
, et nen danalogue ne se fait remarquer dans leurs actions; cependant il
est peu d animaux qui en soient plus susceptibles. La Louve dont je viens de
parler est, à cet égard, beaucoup plus sensible encore que le Chien le plus attaché
: au moindre mot exprimé avec douceur, au moindre attouchement affectueux,
elle se presse sur vous, se retourne de toutes les manières, comme pour
vous toucher encore mieux, pousse un petit cri doux et plaintif, qui exbrime
bien le sentiment heureux qu’elle éprouve; et son émotion est telle, que le col
de sa vessip se relâche, et que son urine s’échappe en abondance; mais ce n’est
pas seulement son maître qui lui fait éprouver une si vive joie : elle reçoit de
la même manière les caresses de toutes les personnes qui l’approchent; c’est-à-
dire que ce sont les caresses seules qui produisent ces effets singuliers, et que
les sentiments affectueux n’y ajoutent rien. M
Ce ne sont pas les premiers Loups trés-apprivoisés et très-doux qu’ait eus la
Menagerie du Roi. En 1800, elle possédait une . Louve qui avait été prise au
p.ege, et qm quoique adulte, s’était privée au point, qu’elle vivait familièrement
parmi des Chiens, avec lesquels elle a produit plusieurs fois; elle aboyait même
comme eux, lorsqu elle apercevait une figure étrangère ; et si elle se fût cor
ngee du goût qu’elle avait pour la volaille, on aurait pu la laisser jouir, sans
inconvénient, de la plus grande liberté.
Le Loup sauvage ne rappelle presque aucun des traits que nous venons de
tracer. Entouré d’ennemis, vivant toujours dans la crainte et la défiance il est
triste et grossier. C’est aux crépuscules du matin et du soir, pendant la nuit en
ete, ou pendant les jours sombres en hiver, qu’il se met en quête pour chercher
sa nourriture, rarement abondante dans les pays de grande culture, où elle ne
consiste guère que dans les restes d’animaux domestiques morts et jetés à la
voirie; souvent même, dans les contrées dégarnies de bois, il est condamné à se
sustenter de Grenouilles, de Mulots, et d’autres petits animaux semblables. Dans
es pays de grandes forêts, plus riches en gibier et moins peuplées, il est plus
hardi, plus fort, et ses formes sont plus élancées. Durant l’hiver, il se retire au
ond des hautes-futaies, dans le voisinage des lieux habités ; mais pendant l’été
.1 se tient au milieu des champs, caché dans les blés. C’est au mois de janvier
que les femelles entrent en chaleur. Aussitôt elles sont suivies par tous les Loups
du voisinage, qui se disputent leur conquête par de sanglants combats. Le plus
tort, après avoir écarté les autres, s’attache à la Louve, qu’il ne quitte plus
jusquà ce que les jeunes soient élevés. La gestation dure soixante et quelques
jours, durant lesquels la mère prépare le nid de se's petits dans le lieu qui lui
paraît le plus propre à les cacher et à les nourrir; et elle le garnit de mousse,
et de ses poils, qu’elle s’arrache aisément, la mue d’été commençant à cette
epoque. Elle en met au monde de trois ou quatre à huit ou neuf, suivant son
âge, e t, pendant les premiers jours, elle ne les quitte point : c’est le Loup qui
a nourrit, et l’allaitement dure environ deux mois; mais les Louveteaux commencent
à manger vers l’âge d’un mois. Dans les premiers temps, le Loup et
la Louve ne leur donnent que de la viande à demi-digérée, qu’ils leur dégorgent;
et, pendant ce temps, l’un des deux reste toujours à la garde de la famille; peu
I peu ils les nourrissent de viande fraîche, et enfin ils leur apportent de petits