Megalotisj n’est autre cependant qu’un Galago. Cette prétendue espèce, comme
nous le verrons plus bas, repose sur les fausses notions d’un dessin défectueux.
Il y avait long-temps que le plus célèbre explorateur du Sénégal, Adanson,
avait eu connaissance du Galago : des nègres qui le servaient durant son séjour
au Sénégal, ayant remarqué qu’il prenait des notes sur toutes les productions de
leur pays, lui procurèrent cet animal, dont ils lui avaient auparavant vanté la
gentillesse et l'extrême agilité. Ce joli Quadrupède est connu, dans les déserts
au delà de Galam, sous le nom de Galago que nous avons adopté.
Adanson en prit sur les lieux plusieurs croquis. Il en rapporta aussi quelques
dépouilles en Europe 5 et c’est en s’aidant de ces moyens que, de retour à Paris,
il fît composer une planche de grandeur in-folio, où le Galago est représenté
dans les attitudes qui lui sont le plus familières 5 sautant de branche en branche,
assis et occupé d’écarter le feuillage pour découvrir la campagne, accomplissant
l’acte de la'génération, etc., etc. Ces différentes scènes composent un tableau
d’un effet assez pittoresque, et sont, en outre, répandues dans une espèce de
paysage où l’on remarque les arbres parmi lesquels les Galagôs se tiennent de
préférence. Feu Desmoulins, l’un des artistes qui, en 1780, entendait le mieux
le genre de l’Histoire naturelle, et dont j ’ai eu depuis occasion de récompenser
les talens, en l’attachant au Muséum d’Histoire naturelle, fut chargé de la gravure
de cette belle planche. Elle est achevée depuis prés de quarante ans j et Adanson
ne l’a employée ni dans" son Voyage au Sénégal, ni dans aucun autre de ses
ouvrages. Occupé du projet d’une Ëncyclopédie sur l’Histoire naturelle, il y a
toujours destiné cette planche, ainsi que d’autres faites avec les mêmes frais 5 et
il est mort sans publier ces précieux matériaux.
Nous ignorions encore ces détails, que nous étions cependant déjà certains de
l’existence du Galago : nous en avions trouvé un crâne donné par Adanson, lorsque
nous nous occupâmes, en 179^, d’un nouvel arrangement de nos collections.
Il nous fut facile, au premier aperçu, de prononcer que cette tête osseuse
provenait d'un animal inconnu, le Galago étant le seul des Mammifères à ongles
qui ait deux incisives en haut et six en bas j e t , quoique les dents n’offrissent
plus qu’une indication équivoque, il était également facile de savoir que c’était le
crâne d’un Quadrumane, la fosse orbitaire étant séparée de la fosse temporale par
une cloison osseuse, et ayant son plan d’ouverture dirigé en avant de la tête.
Toutefois il restait à connaître si les organes du mouvement, qui sont ordinairement
dans une corrélation frappante avec ceux de la mastication, ne participeraient
pas, par un autre écart, à l’anomalie des dents incisives. J’en eus
bientôt l’occasion.
M. Blanchot, gouverneur du Sénégal pour la France, forcé à la retraite, s’en
revint avec un Galago vivant. Cet animal périt à Brest, quelques semaines après
que le bâtiment qui ramenait les autorités de la colonie fut entré dans le port.
M. Blanchot avait eu le temps de faire peindre son joli Quadrupède, et c’est cette
peinture, qu’il donna à M. le docteur Geoffroy, dont nous enrichissons notre
ouvrage. La peau, qui fut préparée avec soin, mais non avec tout l’art qu on
déploie aujourd’hui dans ceç travaux, passa à M. le duc de Nivernois, chez lequel
je fus la voir. Cet excellent et aimable vieillard m’obligea, avec une bonté dont
je conserve toujours un souvenir reconnaissant, à l’accepter pour la collection
publique.
Cette acquisition me parut avoir un intérêt particulier pour la science. Le
Galago, outre son caractère d’anomalie, donnait les moyens de lier aux petites
familles des Makis une espèce dont on était alors assez embarrassé -, c’est le
Tarsier, ainsi nommé de l’excessive longueur de son tarse. A ne juger de cette
singulière espèce que par son port, qui rappelle celui de gens montés sur des
échasses, on la trouve voisine des Gerboises ou des Kanguroos. La conformation
de ses pieds est en effet tellement remarquable, qu’il faut excuser les premiers
naturalistes de l’âvoir si souvent ballottée de genre en genre.
La considération des dents ne pouvant offrir d’indices pour la détermination
du Tarsier, il fallut, pour démontrer ses rapports avec les Makis, porter son
examen sur des caractères d’une influence plus réelle, comme la coexistence des
trois sortes de dents, la séparation de la fosse orbitaire d’avec la fosse temporale,
les libres mouvements des doigts, l’écartement du pouce, l’existence de l’ongle
allongé et aigu du second doigt des pieds postérieurs, qui est un des traits les
plus singuliers de l’organisation des Makis5 enfin, la forme des organes de la
génération et le nombre des mamelles.
Mais on n’en était pas moins obligé de conclure qu’il y avait entre les Makis
et les Tarsiers, vu leur-différence extrême dans des organes aussi importants que
ceux du mouvement et de la mastication, un large intervalle, un hiatus enfin,
qui ne se rencontre que très-rarement dans les séries naturelles.
C’est ce large intervalle que le Galago est venu combler, en présentant une
organisation intermédiaire qui participe des uns et des autres. Ce résultat mérite
d’autant plus notre attention, qu’on ne saurait l’attribuer à tin croisement de
racés, toutes ces espèces ayant été trouvées dans des régions très-éloignées : les
Makis à Madagascar, les Tarsiers à Ceylan, et notre Galago à la côte orientale
de l’Afrique.
Le Galago ressemble au Tarsier par les organes des sens, qu’il a de même grandeur
: il a de même les pieds de derrière beaucoup plus longs que ceux de
devant5 circonstance bien digne de remarque dans un animal à mains, dont les
extrémités paraissent plutôt façonnées pour prendre que pour soutenir le corps.
Tant de différences dans les proportions de ces parties font qu’on désire savoir
s,i cette modification n’est pas le produit d’un changement plus considérable dans
les parties constituantes du pied, et si ce changement n’est pas dans le cas de
priver la jambe-de^tout mouvement de pronation et de supination. C’est, comme
on le sait, la condition~3eTespèces- .chez qui le pied est de même longueur que
la jambe, et dans lesquelles un seul os remplace' le plus souvent les os du métatarse,
comme est l’os du canon à l’égard des Chevaux et des Ruminants. Mais
le Galago n’est pas à ce point différent de ses congénères. Ainsi que dans tous
les Quadrumanes, son tarse est composé de neuf osselets, et son métatarse de
cinq : deux de ces premiers, le scaphoïde et le calcanéum, acquièrent seulement
une dimension extraordinaire en longueur $ mais il n’en résulte aucun changement
dans les rapports des autres osselets et dans leur usage.
Le Galago, placé déjà, par cette considération, parmi les Quadrumanes, l’est
à plus juste titre encore, par celle des moyens de la mastication. C’est le même
nombre d’incisives que dans les Makis à la mâchoire inférieure -, elles sont toutefois
disposées un peu différemment : comprimées de côté, elles ressemblent à des
dents de peignes fins, particulièrement celles du milieu, qui sont réunies par