
les Couleuvres, les Platures, les Agames, les
Pythons, les Pélatnides, les Bongares, les Boa,
les Hydrophis, les Naja, quand leur robe réfléchit
, à travers le feuillage touffu des forêts de la
zone torride, les rayons du loleil des tropiques ;
quand ils fe jouent en fautant, en voltigeant de
branche en branche, en courant fur le tronc co-
loffal d’arbres aufli vieux que le Monde, en rampant
dans l’herbe fèche ôc élevée qui garnit fa
bafe i quand ils fe livrent au repos fur un fol où
l’aftre du jour verfe la lumière par torrens, & où
ils participent à la magnificence générale de la
Nature ?
Plufieurs reptiles ont la propriété de changer
de couleurs, félon les faifons & les climats où ils
vivent, ou félon les pafiions qui les affeétent.
A quoi tient cette particularité ? jufqu’à quel
point eft-elle liée à la nature du corps muqueux ?
C ’eft ce que nous allons tâcher d’apprécier, avec
d’autant plus de foin, que depuis les temps les
plus reculés, certains êtres doivent à cet ordre
de phénomènes toute leur célébrité.
Le Caméléon , le Marbré, le Changeant, font
fiirtout remarquables fous ce rapport. L'Iguane
yert, l’Agame, le Lézard vert, l'Iguane rouge-
gorge de Catesby, la Raine commune, beaucoup
de Salamandres , leur refièmblent plus ou moins
à cet égard.
Aucun animal n*a peut-être été plus célèbre
que le Caméléon chez les Anciens, & fa réputation
, il la doit entièrement à la faculté dont nous
nous occupons en ce moment. Non contqos d'en
ayoir fait le fymbole de la Crainte & de iHypo-
çrifie, l’emblème de l’Incoifftance, l'image de
ces Reptiles de cour qui penfent toujours comme
le Majtre ( i) ; de lui avoir donné le pouvoir de
changer de forme à volonté & de prendre la couleur
des objets pour ne point être aperçu (z) ;
d’avoir, dans leur poéfie, aflîgné une place dif-
tinguée à un être bizarre embelli par l’Erreur}
d\avoir, dans leur vive imagination, donné la
teinte de la vérité à un animal fanpaftique, fur-
diargé d’attributs chimériques; d’avoir afl'uré qu’il
yivoit d’air ($), fans boire ni manger en aucune
façon (4); ils ont encore écrit que fa langue, qui
jouiifoit déjà à leurs yeux de la faculté aflez remarquable
d’afliirer le gain du procès au plaideur
qui la tenoit dans fa poche (5), portée en amu(
1) Peuple Caméléon, peuple Singe du Maître. L a Fontaine, l i v . V I I I , ' fab . 1 4 . (2) Id quoque, quod vernis animal nutritur & Offris t
Protinùs afiimUat taClu. quofcumque colores.
O v iD.
(S) Pline, lib. V I I I , c. 33.
V oigt, de Vi£tu Chamaleontis, in Curiofit. phyf p. 1 ;j3.
K.e,\lunl> , , Dijfert. de Ckamxleonte , refp. Gottrup. Il.inniæ, 1705, in-4°.
(4) Pline, l. c.
(.5) Pline, lib. X^fVJII, c, $.
lette , pouvoit rétablir la mémoire perdue ( i) &
faciliter l’accouchement; que fon oeil droit, in-
fufé dans du lait de chèvre , enlevoit les taies d<es
yeux (z ), & ils qnt raconté à fon fujet une foule
d’autres puérilités femblables, que Pline lui-même
a honte de fignaler. P u det referre, dit-il, en effet,
malgré fa crédulité habituelle.
Du temps de cet auteur déjà, la longue énumération
des prétendues merveilles du Caméléon , faite
par un certain Démocrite dans un ouvrage ex pro-
fejfo {5) y ne fervoit qu’à divertir les gens fenfés,
aux dépens de la vanité des Grecs (4), qui les
portoit à imaginer une foule de contes aufli ab-
furdes que ridicules, mais toujours favorablement
accueillis & rapidement mis en circulation par
l’Ignorance & la Superflition. Que feroit-ce aujourd'hui,
fi nous confignions ici tbutes les fables
adoptées à cet égard par .Matthioli., par Aldro-
vandi, par C. Gefner, par Albert Groot, dit le
Grand?
Contentons-nous donc du petit nombre de détails
qui vont fuivre fur la fingulière propriété
dont jouit ce Saurien remarquable.
N offrant, pour plaire à la vue , ni proportions
agréables, ni mouvemens rapides, foible, timide ,
d'une figure grotefque & bizarre dans fa démarche,
le Caméléon e ft, comme l'a juftement noté
le peintre Corneille Lebruyn (5), le plus fouvent
d’un gris plus ou moins foncé & un peu livide.
Perrault a obfervé, fur un individu vivant, que
fi cet animal refte à l’ombre & en repos pendant
quelque temps , les petits grains de fa peau font
d’un rouge pâle; mais que fi on 1 expofe aux
rayons du foleil, fa couleur change en un gris plus
brun dans l’endroit le plus éclairé, & offre des
nuances plus éclatantes & des taches qui paroif-
fent ifabelles par le mélange du rouge pale des
petites éminences & du jaune clair que préfente le
fond de la peau (6).
D’autres fois, le Caméléon eft d’un beau vert
tacheté de jaune, & , Iorfqu’on le touche, il pa-
roït fe couvrir fubitement d’un grand nombre de
taches noirâtres allez larges & mêlées d'un peu
de vert.
Enveloppé dans un linge ou dans une étoffe
d’une nuance quelconque, il pâlit, mais les ob-
fervatipns les plus mimjtieufes ont clairement déf
i ) A rnaud de V illeneuve , A ld r ova sd i.
(2) Pline, ubi modo.
(3) Diogène Laëice ne parle point de ce livre dans le
Catalogue qu’il a donné des ouvrages de Démocrite il’Ab-
dère. Il ell probable qu’il eft de quelqu’autre auteur du
même nom que ce philufophe. Il eft aujourd’hui perdu.
(4) Non fine magnâ vplupiute nofirâ, , cogniiis proditjsque
mendaciis graca V an i tau s , P line.
(5) Voyage au Levant, pag. 161, Voy ei aufli l'Hifioire
générale des Voyages , tome X , page 3g i .
(6) Mémoires pour fervir à V Ht f i . nac. des Animaux ,
yerbo Caméléon.
montre
montré que jamais il ne prend la teinte des obj^s
qui l'environnent. Tout lè merveilleux tient ici a
une difpofition fpéciale de l’appareil de la refpiration.
ce r
Le poumon de cet animal eft , en effet, n
vafte (O* que quand il eft gonflé , le corps entier
paroît tranfparent : c’eft làcequi a fait croire anciennement
que le Caméléon fe nouriifloit d air;
c'eft au grand développement du vifeère dont il
s’agit, qu’il doit la faculté de varier en couleur,
non point, comme on l’a penfé, félon les corps
fur lefquels il fe trouve Q) , non point parce que
la colère lui donne la jaunifle, ainfi que^I* dit
Haflelquift (5), mais bien filon fes paflions ou les
befoins, comme Olnüs Worms le premier (4) &
enfuite Fouché d’Obfonville (4), ollt cherche a
le démontrer, à l’aide d’une explication <jue fivo-
rjfe encore la difpofition fpéciale des cotes (6),
difpofition qui n’a point échappé à M. Cuvier (7),
& qu’on retrouve dans les Marbrés, les Anoiis &
les Changeans. Le corps de ces Sauriens, en eftet,
doit varier en couleur, fuivant que le poumon
contraint plus ou moins le fang à refluer vers la
peau , & colore plus ou moins vivement ce fluide
eu fe vidant ou en fe rernp liftant d air., j,!,'
En conféquence, à la moindre paflion que-
prouve un animal ainfi conformé, le fang reflue
en plus ou moins grande abondance vers ta furrace
du corps fous l’épiderme , & alors il doit paroitre
teint de bleu, de vert, de violet, de gris & de
jaune. Souvent, & Daudin a pu s en aflurer ($}>
on voit la Grenouille ordinaire changer de cou- ;
leur & fe rembrunir lorfqu’elle elt effrayee, loif-
que, par exemple, une couleuvre la menace.
L’ Iguane vert, l’Agame, le Lézard ocellé, ont,
dans la faifon des amours, des teintes plus vives,
plus brillantes, qu’à toute autre époque de 1 année.
Les Grenouilles ronfle & verte font dans le
même cas, & le ventre de plufieurs Tritons, 01-
dinairement jaunâtre, paroît dans ce moment d un
bel orangé yif.
870. Le Derme ou Cuir. DanS les Reptiles dont
le corps n’efl point ou n’eft qu’en partie couvert
d’écailles, cette couche de la peau eft très-ferree,
très-denfe & rrès-réfiftante. On peut s’en allurer
fur les Tortues , les Chélonées, les Tritons , es
Salamandres, les Rainettes, les Crapauds & les
Grenouilles. (i)*3 4 5 6 8
(i) Voye\ ci-après n*. 919. (i) A çftfd itte S , negl Zo iïi le'laçteeçyBi^A, ?, , «£<?. «•
(3) Voyages dans le Levant, &c. Paris , 1769, in-12.
(4) Mufieum, de Pedeft. , c. X X I I , fol. 3 16.
(5) Efiais philofopkiqu.es fur les moeurs de divers animaux
étrangers, &c. , Paris, i 783, in-8°., pag. 4,1.
(6) Voyez (n) Rechercchie-sd ecfiftuéess, ,p atgu.m 5c2V. , 11«. partie, pag. 288.
(8) Hift. nat. gétt. & part, des Reptiles , Paris, au a IU ,
in-8»., coin. I , yag* 74*
Syfi. Anal. Tome IV .
Dans les animaux de ces trois derniers genres,
, le derme eft , en particulier, très-remarquable en
ce* qu’il n’adhère point au corps dans tous fes
pointsIcomme chez les autres,animaux vertébrés,
où il s’unit intimement au tiffu cellulaire. 11 ne fe
fixe ici qu’au pourtour de la bouche, le long du
trajet de la ligne média’ne du corps, aux aiflelles
& aux aines. Partout ailleurs, les organes fous-
jacens font libres & femblent plonges dans une
forte de fac. ,,
Après avoir fait une incifion au ventre d une
groflè Grenouille, depuis le pubis jufqu’au nuheu
du fternmn, Méry, qui paroît le premier s etre
occupé de recherches à ce lujet, trouva que lés
tégumens n’étoient unis ni aux mufcles du ventre
ni à ceux du thorax. Entre eux & ces mufc.es ,
exiftoit une cavité de figure ovale, & les adne-
rencfcs, aux aiflelles & aux plis des aines n’ avoient
lieu qü’au moyen de filarnens membraneux
défies & tranfparens. De pareils filarnens capillaires
attachoient la peau aux mufcles latéraux du
ventre, & permettoient cependant a une forte de
poche vide d-’occuper tout l’efpace compris entre
la cuifle & l’oreille. La peau du dos n’etott aufli
unie aux chairs que poftérieurement & par des
fibres qui fembloient naître du rachis. Il conclut
de là , avec raifon, que toute la peau de la Grenouille
eft comme partagée en quatre facs lepares
les uns des autres par des cloilons membraneules
incomplètes & occupant le defîus, le defîous &
les deux côtés du corps ( i) .
Sur le même Batracien, la peau de la cuifle
n’étoit attachée au corps charnu qu au niveau des
articulations & formoic deux facs, 1 un en devant,
l’autre en arrière du membre. ^
La difpofition fe trouva la même a la peau de
la jambe & à celle des pieds. ^ Lî. .
Entre le fternum & l’extremîté de la mâchoire
inférieure, étoïent pratiquées deux autres cavités,
l’une qui defeendoit du fternum dans le bras, 1 autre
qui s’étendoit fous la mâchoire.
Dans les C héloniens , le derme eft toujours
plus épais dans les endroits ou il n eft point immédiatement
appliqué fur le fyftème ofleux. Il 1 eft ,
par conféatient, moins fur la tête ,1a carapace &
le plaftron : mais alors il eft complètement & tres-
fortement adhérent. . . . ,
U l ’eft également moins à la partie intérieure du
corps & au côté interne des membres.
Plus les efpèces de cet ordre font aquatiques,
ou moins elles fovtent de 1 eau, plus le derme eft
diftiitdt des tiffus fous-jacéns. Ceft ce dont on
peut Te convaincre en comparant les Chélonees
& les Emydes > entr’elles & avec les Tortues ter-
reftres.
( i) Hifioire de l’Académie royale des fiences , tome I ,
pag. 3qt) ôc 4°°* ' ' j - , ■ Collision académique, partie françaifc, tome I , p. n , .
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