
moins fubftantiels que ceux fournis par les mammifères
8c les oifeaux , les alimens tirés de la
clafl'e des Poiffons donnent moins de matériaux à
l’affimilation, 8c font d’autant moins nutritifs qu’ils
prennent leur origine dans les familles faxatiles
8c pélagiennes, comme celles des Rougets, des
Spares , des Daurades, des Crénilabres, des
Scares, des Chéilines, 8cc.
D’autres font remarquables par la quantité de
gélatine qu’ils contiennent ; telles font les chairs
muaueufes de la Carpe , de la Tanche , de l’Anguille,
du Congre, du Brochet,de-la Lamproie,
de la Lotte , & leurs diverfes préparations, qui
ont, dès le premier tiers du dix-huitième ftècle,
été examinées fous ce rapport par les membres
de l’Académie royale des fciences, auxquels on
doit des expériences d’où il ré fuite que quatre
onces de viande de boeuf ne produifent que cent
huit grains de tablette de bouillon , tandis que la
même dofe des chairs de Carpe 8c de Brochet,
donne, l’une cent cinquante-deux , & l’autre
cent Toixante-huit grains de-gélatine fèche.
Il faut conclure de là- que l’ichthyophagie eft
bien moins propre à entretenir la vigueur du
corps, à réparer les forces, que l’ ufage habituel
de la viande; 8c , d’après des obfervations pofi-
tives de Pechlin, un manoeuvre qui ne mange que
du poiffon eft incomparablement moins robufte
que celui qu’on foumet au régime de la viande
de boucherie.
Mais, d’un autre côté, en raifon même du peu
de molécules réparatrices qu’elle introduit dans
nos tiffus, d e là facilité avec laquelle, Ig-plus
fouvent, elle eft élaborée par l’appareil digeltif,
la chair des Poiffons eft recommandée par les
médecins, 8c avec quelque avantage , aux vieillards
, aux valétudinaires , aux perfonnes débiles
8c d’ une profeflion peu aétive ; ce que la Nature
femble avoir indiqué d’elie-même aux Orientaux
efféminés > aux indolens habitans du Malabar &
d’autres contrées chaudes de l’Aile ; tandis que
les Samoïèdes , les Oftiaques, îesKamtfchadalcs ,
les Groenlandais , les Eskimaux , dont le froid
femble précipiter le cours de la v ie , hâter l’aéti-
vité des fonctions, dévorent en guife de pain des
poiffons tous crus , 8c par conféquent plus anima-
lifés que s’ ils étoient cuits , & adjoignent en outre
à cette nourriture la chair graffe des phoques 8c
l ’huile rance 8c excitante des grands cétacés.
L’ufage confiant du poiffon comme aliment, par
le grand nombre de particules muqueufes qu’il
introduit dans l’économie, par les principes abon-
dans qu’il fournit à la lymphe plutôt qu’au fang,
devient l’origine d’une conftitution molle & débile
î produit la pâleur de la peau ; détermine
l'inertie de tous les fyftèmes organiques , rend le
tiffu adipeux plus propre à la fécretion abondante
d’ une graiffe flafque 8c fans eonfiftance; amène
enfin, à fa fuite, la langueur, la leucophlegmatie,
l'anafarque,les diverfes helminthiaffes inteftinales^
la lèpre, Téléphanthiafis, l’ yav/s, le fcorbut, les
dartres, les fcrofules, la gale, & le cortège fans
fin des maladies cutanées , 8c de ces ulcères de
mauvais caractères que les Anciens nommoient/y-
riaques parce qu’ils étoient communs dans certaines
parties de la Syrie, dont les habitans encore
aujourd’hui, comme à Alep, en particulier, mangent
habituellement le Macroptéronote & d’autres
Siluroïdes.
Ces mauvais effets feront encore plus marqués
fi les Poiffons qui font la bafe de la nourriture ont
vécu habituellement dans des eaux ftagnantes &
fangeufes, dans des lagunes marécageufes, dans
des mares impures , dans des criques vafeufes >
s’ils ont la cnairmolle, vifqueufe, blanche, glu-
tineufe , imprégnée d’hui le > fi leur peau eft alé-
pidote ou peu garnie d’écailles, car alors ils font
d’une digeftion tellement difficileque déjà les
fages légiflateurs de l’Egypte, au rapport d’Hérodote
8c de Plutarque , avoient profcrit la plupart
des efpèces qui fe trouvent dans le cas que nous
venons de citer, 8c que le Lévitique en avoit interdit
j’ufage aux Hébreux, qui ne dévoient manger,
ni Anguilles, ni Lamproies, ni Murènes, ni
Silures, ni Squales, Poiffons dont il faut rapprocher
également, fous le point de vue qui nous
occupe, les Lottes, les Tanches, les Raies, les
Molves ,, les Squatines, 8cc.
Enfin , ils femblent inévitables, fi ces Poiffons,
avant d’être fournis à l’élaboration des organes de
la digeftion , ont déjà, .ainfi que cela arrive chez
certaines nations feptentrionales, été fournis à un
commencement de fermentation putride , s’ils
laiffent dégager des principes ammoniacaux , ainfi
que cela ne s’obferve déjà que trop fouvent à
Paris même.
Ne nous étonnons donc point de voir les anciens
Romains regarder l'ichthyophagie comme un
régime propre aux êtres efféminés & fans courage,
opinion, du relie, dont on retrouve des
traces 8c dansÆlien 8c dans Columelle, 8c d’entendre
le rigide Caton le cenfeur prédire, en
plein fénat, la ruine d’un état où un poijfon coû.e
plus cher qu un boeuf.
Dès-lors auffi nous concevons comment il exifte
aux îles Féroé & aux Orcades une forte de
lèpre endémique j comment Gérard Boote, G. T.
Stroem , Steller, Ziickert, ont vu fi fréquemment
parmi les Norvégiens, les Irlandais, les Kamtfcha-
dales, régner des dartres rebelles, des inflammations
de l appareil de la génération; comment fur
les côtes de la Baffe-Bretagne, en France, fur
celles de la Bifcaye, en Efpagne, de la Baltique,
en Bothnie, en Finlande,, en Livonie, furie littoral
du Lochquhabir, en Ecoffe, 8c particulièrement
à Invernefs, on obferve fi communéç
ment la gale 8c d’autres éruptions pforiques 3c
herpétiques..
L’ichthyophagie a encore un autre effet dont
nous ne devons pas oublier de parler; elle
excite d’une manière marquée les propriétés vitales
du fyftème générateur, ainfi qu’on l’a noté
prefque de tous les temps, depuis Athénée &
Juvénal, jufqu’à Paw, Montefquieu 8c Chauffer ;
8c cela, foit en vertu du mode des préparations
culinaires, qu’on fait d’ordinaire fubir à la chair
des Poiffons, ou de la grande quantité d’affaifon-
nemens qu’elle exige, foit en raifon de l’huile dont
elle eft furchargée, foit enfin par fuite de la pré-
fence du phofphore, qu'ont reconnu en elle Four-
croy, 8c MM. Vauquelin, Thénard, Clievreul, &c.
Quoi qu’il en foit de tous les inconvéniens
fignalés ci-deffus, on mange prefque partout le
Monde 8c on mangera toujours des Poiffons. A
l’aide de certaines préparations qu’on fait fubir à
ces animaux, 8c qui généralement ne peuvent
tendre qu’ à augmenter celles de leurs qualités qui
font contraires à l’entretien de la fanté, on fait
participer au feftin littoral les peuples les plus
éloignes de la mer 8c des lacs. On faure, on fale,
on féerie, on fume 3 on marine leur chair, comme
nous le pourrions dire de plufieurs Clupées, En-
graules , Truites, Raies, Anguilles, Morues,
Scombres, Thons, Merluches, & , en particulier
, des Saumons , des Anchois, des Sardines,
des Harengs, des Maquereaux, plus fpéciale-
ment. On prépare avec leurs ouïes 8c leurs entrailles
à demi putréfiées 3c falées, ce-garum fi
cher aux Anciens , 8c qui a tant de rapports avec
\efouïy dont de notre temps on fait un fi commun
ufage à la Chine 8c au Tunquin; avec leurs oeufs
on fabrique le caviar 8c la botargue, reffource des
longs carêmes de l’ Italie 8c delà Grèce.
Mais c’eft affez parler des matériaux que les
Poiffons offrent à notre alimentation. Nous nous
éloignerions de notre fujet en fignalant les excès
fcandaleux qu’a fait faire au luxe de certains per-
fonnages délicats ou blafés la faveur déîicieufe de
la chair de plufieurs de leurs efpèces. Pourquoi
rappellerions-nous la folie de ce ftupide empereur
qui, ayant convoqué une aflèmblée de féna-
teurs plus bas 8c plus vils que lui, fut encouragé
par le réfultat de leurs graves délibérations à
mettre un Turbot h la fauce piquante ? La cruauté de
ce Védius Pollion qui condamnoit fes efclaves à
être dévorés par les Murènes de fes pifeines,
dont la chair devenoit par ce genre de nourriture
, prétendoit-on, & plus favoureufe 8c plus
graffe? La fottife des grands feigneurs du temps
de l'empereur Sévère, qui faifoient apporter un
Efturgeon en triomphe dans fa falle à manger, 3c ,
parodiant ainii la gloire des Scipion 8c des Paul
Emile, obligeoient un peuple jadis roi à oublier
ce qu’il devoit aux grands hommes qui l’ avoient
conduit au comble de la puiffançe, 8c profti-
tuoient à un caprice infenfé les couronnes,, les
enfeignes, les faifceaux d’armes 8c tous les lignes
de la grandeur romaine , au temps de fa pompe 8c
de fon tafte ? La prodigalité de ces avides proconfuîs
, qui payoient une mefure de garum avec
l’or extorqué a cer.t malheureufes provinces ? La
corruption de ces dames élégantes qui, au lieu
des parfums fuaves de l’Arabie, po.toient cette
liqueur infette dans des vafes de pierres pré-
cieufes fufpendus à leur cou ? L’infenfibilite atroce
de ces monftres civilifés qui fe procuroient le
plaifir de jouir de l’agonie du brillant Rouget,
dans l’eau chaude de ces canaux de cryftal qui
exiftoient fur leurs tables , 8c qui le dévoroient
aufftôt que la mort avoit terni l’éclat de fes vives
couleurs ? A
Eloignons nos yeux de ces fcènes dégoûtantes,
8c nous verrons les Poiffons , en particulier l'Efturgeon
, le Sterlet, la Perche, le Pollak, le
Nawaga , le Mal, fournir à une foule de nos arts,
à la pharmacie fpécialement, une colle de la plus
haute importance ; la peau de l ’Anurrhique des
mers du Nord fervir à la confection de befaces
fort utiles à des peuples privés de prefque tout
•genre de reffources ; celle de l’Anguille donner
des courroies recherchées pour leur force , leur
folidité 8c leur foupleffe tout à la fois ; celle du
grand Efturgeon être affez forte pour pouvoir
être taillée en foupentes de carroffes , en cordes
pour les chevaux de traits ; celle de plufieurs
Raies 8c Paftenagues fournir le chagrin 8c \egaluchat
3 fi recherchés des gaîniers 8c des fabricans
de petits meubles précieux ; celle de certains
Squales offrir aux ébénifies une fubftance propre
à polir leurs bois , à la manière de la prêle 8c de
la pierre ponce; le fiel du Carpeau, de l’Anguille ,
du Brochet, être employé par les peintres en
miniature à caufe de fa belle teinte verte 8c de
fes propriétés favonneufes ; le foie de l’ Anar-
rhique , de la Morue, de la Lote, du Thon, du
Congre, de là Raie, 8cc. & c ., laiffer découler
une huile utile aux corroyeurs, aux hongroyeurs,
aux cordonniers , aux peintres, excellente pour
brûler, 8c fouvent recherchée comme aliment
par certaines nations malheureufes ; les écailles
de l’Ablette donner naiffance à l’art de fabriquer
les perles fauffes , 8c fournir cette nacre liquide
à laquelle on donne le nom à’EJfence <£Orient.
Quoique tout ce que nous avons dit de l’orga-
nifation des Poiffons doive nous faire concevoir
que ces animaux ont des cara&ères extrêmement
tranchés, il ne nous en faut pas moins avouer que
l’Art de l’homme , difpofant des forces de la Nature
, peut, pour ainfi dire, à fon gré modifier,
changer même cette organifation, altérer les propriétés
qui la diftinguent, donner plus d’importance
à tel ou tel de fes attributs, effacer juf-
qu’aux traces de tel ou tel autre, développer
enfin, en elle, des qualités.profondes 8c toutefois
nouvelles, 8c lui imprimer le cachet de cette
puiffince qui- femble l’apanage de notre efpèce ,
8c que révèlent à chaque inftant quelques-uns des
traits de tous les autres êtres vivans.
Le tableau 4s l’influence que l’homme exerçe
Nn î