
au fein des eaux , l'y maîtrifa , l’y noya , & en fit
la proie.
Qu eft cependant ce fait, en comparaifon de
ceux que nous aurons à citer ?
Perfonne n'y ajouteroit fo i, fans les circonf-
tances fuivantes, moins extraordinaires, à la vérité,
mais tout auflî curieufes.
. Créé, pour ainfi dire, pour la deftru&ion &
la ruine, vorace, carnaflîer, a&if, hardi, plus
agile que les autres Mollufques, le Poulpe commun
, préférant les rivages rocailleux à la haute
mer, établit fon domicile dans les anfraêtuofités
de quelque rocher, y laiffe fa femelle, parcourt
Lourdement les environs de fa retraite, fe faifit de
tout ce qu'il rencontre, embraffe fouvent plus
d'une proie à la fois , & revient, chargé de butin,
partager avec fa compagne le fruit de fes rapines.
On allure, & Denys Montfort l'affirme ( i) ,
que, redoutable pour 1 homme lui-même, il a
quelquefois, fur les côtes de France, fpécialement
le long du littoral de la Normandie, jufqu'à dix
pieds d'envergure lorfqu'il étale fes bras , dont
les mouvemens fouples & brufques, dont les ondulations
en tousfens, dont les cupules afpirantes
rendent l’atteinte-inévitable & dangereufe. Une
fois fa proie faifie par un de fes bras, il l'enveloppe,
il la lie par les fept autres, & cela avec
une promptitude incroyable, ne quêtant d'ailleurs
jamais prife avant la mort manïfefte de l ’animal
dont il a fu s’emparer , & qu'il démembre, qu’il
déchire en lambeaux.
J’ai vu agir le Poulpe , & le voyant non moins
à craindre^ pour les habitans des eaux, que le
Brochet, l’Efocé, le Requin, la Perche de mer,
je n’ai pas héfité à le comparer au tigre qui défole
les déferts & fe fait redouter des mammifères
dans les régions brûlées par le feu du foleil de la
zone torride. Ainfi que lu i, d’ailleurs, il tue tout
ce qu’il rencontre & détruit bien plus qu'il ne peut
confommer, & fi, dit-on, l’animal qu'il a fàifi
eft de force à fe défendre, s'il oppofe la réfîftance
a l’attaque, le Poulpe cramponne deux de fes bras
aux rochers du voifinage, 6c , avec les fix autres,
étouffe la proie qui veut lui échapper.
On allure aufïi que ce n'eft pas feulement dans
les eaux de la mer que le Poulpe fe livre ainfi à
toute fa fureur , & permet à fa puiffance motrice
de fe développer, il en fort quelquefois (2) &
traîne fur le rivage fa foif du fang, ou fe tapit
dans le creux des rochers laiffés à fec au moment
du refluxj puis il bondit, court, grimpe, &c.
Dicquemare, cet eccléfiaftique du Havre fi connu
par fon zèle pour l’obfervation & par fon amour
pour la vérité, l'a vu, dans fa ménagerie marine,
faire des co urfes, fortir par des fenêtres, gravir
( 0 WpM natur. ginér. & part, des Mollufques , tome I I ,
pag. 118.
(?) Dbhys de Montfort, L e . , pag. 121,
contre des murs , &c. (1). Ælien (2), Pline (3),
Ariftote (4), Scaliger ( j) , Aldrovandi (6), Athé-
nee (7), confirment ces faits, & nous apprennent
en outre, pour la plupart, qu'il jouit de la faculté
de grimpet aux arbres 5 mais perfonne n’a
rien dit à ce fujet d’aufli extraordinaire que Denys
Montfort, lequel a obfervé au pied de la citadelle
du Havre, entre des rochers à fec (8), un combat
acharné entre un chien irlandais de forte taille &
un Poulpe, qui feroit demeuré vainqueur fans le
fecours que l'auteur prêta au quadrupède. Ce
naturalifte, réfervé à ce qu'il paroît à des dangers
finguliers, faillit plus tard devenir lui-même victime
de la rencontre d'un Mollufque de cette
efpèce, & cela malgré la grande force phyfique
dont la Nature l’a doué (9). Ce qui, du refte , eft
moins plaifant que les exploits d’un autrePoulpe,
lequel, mis pour cuire dans un chaudron fur le
feu, grimpa dans une cheminée & ne fut retrouvé
que fur le toit de la maifon (10).
D'après cela, il eft permis de croire que The-
vet (11) a voulu parler du Poulpe , quand il a af-
(ure que les^ infulaires de Cuba emploient à la
pêche un animal marin qu'ils élèvent en domef-
ticité, & qui , lâché à la mer au bout d'une
corde , va faifir tout poiffon qui s’offre à fa rencontre
; à moins pourtant que l’animal défîgné
par lui ne foitle Rémora, encore confacré aujourd’hui
au même ufage par Jes Abyffins (12), ou le
fameux Reverfus indicus du Florentin Pietro Mar-
tyrio (13).
Mais il y a loin encore de tout cela, quoique
merveilleux, à ce que l’on a raconté du Poulpe
cololfal & du Kraken, qui s’élèvent autant aur
deftiis de la Baleine que celle ci furpaffe en volume
l'Eléphant le plus gros, & dont l'hiftoire
paroît fabuleufe & abfurde. Si nous parlons ici de
ces géans du règne animal, non encore obfervés
par un véritable naturalifte, c'eft pour compléter
le travail que nous nous fommes propofé de
conduire à fin dans le livre que le leîfeur a fous
les veux.
C ’ell ainfi queTrebius Niger, un des lieutenarvs
de Lucius Lucullus, a raconté à Pline (14). qu'à
(1) Journal de Phyfique, 1788, fécondé partie, pag. 36i,
(2) Z. c., lib. IX , c. 45. •
(.3) Z. c . , lib, IX , c. 19,
(4) ne'g< Zàm W}oÇ têts, B -
(5) Exerc. ,218.
(6) De Mollufc. , pag. 8» (7) Lib. XII.
(8) Ubi fuprà , pag. 1 25.
(9) Ibidem, pag. 128 & fuivances.
(10) A LDROVANDl } l. c. , pag. 34*
(11) Cofmogr. univ., coipe I I , lib. X X I I , pag. 683.
(12) Henry Sa lt , P'oyage en Abyffinie , crad. franç,
tom. I , pag. 64.
(13) G esner , De Pifcibus, pag. o3.
I p p l i f M • *
Caitéra
Carteia, ville de l’ancienne Efpagne. lin énorme
Poulpe, attiré par l'odeur des falaifons, avoit pris
l’habitude de quitter la mer au milieu de la nuit,
d'entrer dans les viviers & dans les établiffemens
des faleurs , d'y commettre nombre de dégâts, &
d'efcalader même pour cela des paliflades & des
enceintes cloifonnées. La vue de ce hideux animal
effraya les gardiens commis pour veiller à fes déprédations,
8c dont il écarta les chiens en leur
lançant de vigoureux coups de fes bras flagelli-
formes. Sa tête, offerte à Lucullus, avoit le volume
d’un tonneau de i s amphores & pefoit 700
livres} fes bras étoient d'une longueur de plus de
30 pieds, & chacune de fes cupules auroit pu
contenir plufieurs de nos pintes de liquide.
Fulgofe (1) nous a tranfmis , au fujet d’un
Poulpe monftrueux-, une hiftoire analogue à celle
que nous venons de citer d’après Pline, 8c qui,
très - probablement, n'eft que la contre-partie de
celle de ce dernier.
Ælien aufli (2) dit que dans le territoire de
Pouzzole, en Italie, un Poulpe, de la taille d'une
Baleine -, dédaignant les proies que la mer pouvoit
lui offrir , venoit chaffer fur le rivage, arrivoit par
un égout dans un magafiri de la ville, s'y faififloit
d’un tonneau de falaifon , l’emportoit, le brifoitj
Fécrafoit & en droit le poilîon falé.
Il n’eft donc point étonnant qifUlyffe Aldro-
vandi .ait accordé au Poulpe la force du roi des
quadrupèdes , du plus robufte Lion ($)$, ;
Des relations du genre de celles que nous venons
de rapporter font, fans aucun doute , incroyables,
& pourtant combien de fois n’ont-elles
pas été reproduites, avec des variantes feulement
, depuis les Anciens jufqu'à nous, par les.
naturaliftes, par les voyageurs , par les matelots,
par les obfervateurs de toutes les claffes? Ulyffe
Aldrovandi, Jonfton, Gefner, ont répété à l’ e'nvi
que des Poulpes avoient attaqué des vaiffeaux en
pleine mer, 8c en avoient arraché des hommes
enlacés dans les replis de leurs énormes bras. On
confervoit naguère, dans la chapelle de Saint-
Thomas à Saint-Malo, un tableau votif confacré
par l'équipage d'un navire de ce port , qu’un
énorme Poulpe faillit fubmergèr à la côte d'An-
gole, où il étoit mouillé, & qui n’échappa que
difficilement au danger (4), les bras du monftrueux
Mollufque, auflî longs que flexibles v s’étant
entortillés autour des manoeuvres & des mâts
jufqu’à leur fommet. Selon le voyageur Grandpré,
des Poulpes coloffaux fréquentent affez fouvent
les côtes d'Afrique , & les Nègres les redoutent
extrêmement, parce que , difent-ils, ils entraî-
((21)) LLiibbr.. II. I I , c. 6.
' (3) L.C.
(4) Denys Monforc, l. c. , pi. X X V I , nous a tranfmis
une cfquiffe de ce cablean. .
Syft. Anat. Tome If^.
nent leurs pirogues au fond des eaux (1). Enfin,
le capitaine Jean Magnus-Dens, mort dans ces
derniers temps, après avoir plufieurs fois fait le
voyage de Chine , étant par le travers de l’île
Sainte-Hélène &: du cap Negro, vers les 1 f deg.
de'latitude fud, v it , du fond de la mer , s'élever
un Poulpe qui jeta un bras autour du corps de
deux de fes matelots, les enleva, les plongea
dans l ’onde amère, en même temps qu’avec un
autre bras il faififloit fur les premiers échelons des
haut-bans, une troifième vi&ime , qui fe mit à
pouffer des hurlemens épouvantables, & qui ne
fut fauvée que parce que les gens de l’équipage
vinrent à bout d’opérer la fe&ion du bras. Les
deux premiers matelots ne reparurent jamais , &
le dernier mourut pendant la nuit qui fuivit cet
accident, tant il avoit été preffé avec violence.
C ’éft lui-même qui a raconté la chofe à Denys
Montfort.
L'archevêque d'Upfal, primat de Suède, Olaus
Magnus (2), parle des monftres du même genre
qui mettent les navigateurs en péril dans les mers
de la Norv/ège, & , vers l’an 1520, Erik Fal-
kendorff, évêque de Nidros, envoya au pape
LéonX la tête falée d'un Poulpe de cette efpèce.
Schwediauer (3) & Denys Montfort (4) décrivent
auflî des bras de Poulpes qui avoient de
27 à 45 pieds de longueur, & dont les ventoufes
offroient le volume d’un chapeau j ce qui rend
digne de foi l’obfervation du doêleurFriis, affef-
feur du Confiftoire en Nortlande , au rapport duquel,
en 1680, un Poulpe monftrueux, échoué
dans les rochers du golfe d'Ulw'angen, dans la
paroiffe d'Aftabough, empoifonna pendant longtemps
, par fuite de la putréfÜtion qui s'empara
de (on corps, l'â’tmofphère des environs (5).
C ’eft au Poulpe, conféquemment, qu'il faut
probablement rapporter ce que Pline (6), Op-
| pien (7), Ælien (8), Bartholin (9), Eric Pon-
toppidan (10), Gefner ( n ) , Vaimont de Bo-
| mare (12 ) , Chr. Franç. Paullini (13), Charles
Auguft. de Bergen (14) , Bofc (15) , Lachefnaye
(I) Sur la côte de Guinée, fe Poulpe eft appelé Amba-
jombi, c’eft-à-dire ? poiffon méchant & forcier. ■ (2) De Pifcib. monfiri', pag. 729 & feq. .
(3) Journal de Phyfique, 1784 5 vol. 2 , pag. 284.•
((45)) Ubi modo i pag. 334» fitÉ & 338. Nov. Afta Acad. Nat. Curiof., vól. II, obf. 38,
^ (6) Lib. IX , c. 4. — Lib. XX XII, c. ultimo.
• (7) L . c.
• (8) Ubi fuprà. (9) Hifi. anat., cent. IV, n°. 24, pag. 284.
(10) Hifi. nat. Norweg., III, pag; 394.
(II) De Cetis, pag. 177.
(12) Verbo K raken.
( 13-) Ephem. Acad. Nat. Cur., dec. I , arin. 8 , pag. 79
ôbf. 5 i.
(ri4) Nov. A&. Acad. Nat. Cur., vol. I I , obf. 38,
: pàg(.i 51)4 3. Hifi. nat. des Versi tom. I , p'ag. 36. Tt