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colonnes carrées, ce que l’on nomme aujourd’hui
spécialement pilastres. Ce n’est effectivement autre
chose qu’une colonne quadrangulaire , supposée
engagée à une plus ou moins grande épaisseur
dans un mur, ce qui fait que la superficie apparente
du pilastre est toujours plane.
On voit enfin que , comme il y eut des colonnes
circulaires ,• dont la circonférence est censée
plus ou moins engagée dans la construction d’un
mur, il y eut de même des colonnes carrées, q u i,
engagées de la même façon, produisirent ces
ordonnances moins saillantes, qu’on désigne aujourd’hui
parle nom générai de pilastres. V o ilà ,
sans aucun doute, l ’origine du pilastre actuel,
qu’on pourroit appeler colonne de bas-reliefs et
dont l’usage est devenu irès-commuu sous celte
lorme, et pour ainsi dire universel chez les
Modernes.
Il y a , en effet, bien peu d’exemples que ceux-
ci l’aient employé isolé, comme la colonne. Sans
doute , on'pourra le trouver à plus d’une ordonnance
de portail ou de frontispice de portes, figurant
dans toute son épaisseur, mais adossé au mur
avec des colonnes également en appliquage. On
auroit cru manquer d’autorité dans l’antique
pour toute autre disposition. Aussi Perrault dit-il,
que les pilastres carrés et isolés sont rares dans
l’architecture antique. Selon lu i, on n’en voit un
exemple qu’au temple deTré vi (ou de Spolelte),
petit monument qui ne paroit point dater des
beaux siècles de l’art.
Toutelois on s’est trop bâté de prononcer des
arrêts absolus d’après ce qu’on trouve, et surtout-
d’après ce qu’on ne trouve point dans les restes
de l ’antiquité. On seroit plus réservé dans de tels
jugemens , si l’on vouloit penser qu’il ne nous
reste pas la millième partie de ses ouvrages. Aussi,
chaque jour voit-il de nouvelles découvertes infirmer
les opinions les plus accréditées, mais uniquement
sur la foi des autorités négatives qu’on
avoit tirées de l’absence des exemples.
Ainsi , la description du grand temple de Jupiter
Olympien à Agrigente , par Diodore de Sic
ile , nous avoit appris que ce temple pseudo-pé-
riptère avoit ses colonnes'engagées dans le mur à
l ’extérieur , et que, dans l’intérieur, elles éioient
carrées ; ce qui rendoit certain que le mur de la
cella étoit intérieurement orné de pilastres adossés
ou engagés. Mais les découvertes qui sont résultées
des fouilles faites sur l’e ai placement de ce
temple détruit, nous out appris que l’espace intérieur
de la cella étoit divisé eu trois nefs formées
par deux rangs non de colonnes circulaires , mais
de pilastres isolés , quadraugulaires, au-dessus
desquels s’élevoit un rang de colosses en manière
de télamons ou d’atlantes, soutenant la corniche
supérieure de la nef.
Voilà les principales diversités'qu’on rencontre
sur ce qui constitue la forme générale du pilastre.
Quant aux variétés de détail, il y a quatre cho-
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ses principales à y observer : leur saillie sur fé
mur , leur diminution , la manière dont l’entablement
doit poser dessus lors qu’en même temps il
pose sur une colonne , leurs cannelures et leurs
chapiteaux.
A l’égard de la saillie du pilastre3 Perrault observe
que celui qui n’a qu’une face hors du mur,
doit avoir sa saillie de toute la moitié, ou ne sortir
tout au plus que de la sixième partie, comme
au frontispice de Néron , lorsque rien n’oblige de
lui donner plus d’épaisseur. Les pilastres extérieurs
du Panthéon n’ont de saillie que la dixième
partie de leur surface , et quelquefois on, n’y
donne au pilastre que là quatorzième partie, ainsi
que cela est pratiqué au Forum de Nerva. Mais
quand les pilastres doivent recevoir des impostes,
qui viennent se profiler contre leurs côtés, on leur
donne de saillie le quart de leur diamètre. Cette'
proportion est commode, en ce qu’elle n’oblige
point à tronquer irrégulièrement le chapiteau corinthien
; car il arrive alors que la feuille inférieure
et latigette même du chapiteau se trouvent
justement coupées par leur milieu. Par cette même
raison de symétrie , lorsque les demi-pilastres
sont à des angles rentrans , il leur faut donner
plus que la moitié de leur diamètre.
La théorie de la diminution du pilastre lient
essentiellement à celle de la forme. Il y a , sur ce
point, quelques diversités d’opinions. Voici ce
que Perrault prescrit à cet égard.
« On ne diminue point ordinairement les pi-
» lustres lorsqu’ils n’ont qu’une face hors du mur.
» Ceux du dehors du portique du Panthéon sont
» ainsi sans diminution. Mais quand ces pilastres
» étant sur une même ligne que des colonnes; on
» veut faire passer l ’entablement sur les uns et
» sur les autres (sans faire un ressaut) , ainsi
» qu’il y en a aux côtés du dehors du Panthéon ,
» il faut alors donner au pilastre la même dimi-
» nution qu’à la colonne (cela s’entend de la face
» de devant), le laissant parles côtés, sans di-
» mmution , ainsi qu’il se voit pratiqué au tem-
» pie d’Anlonin et Faustine. Quand le pilastre a
» deux faces hors du mur, étant à une encoi-
» gnure, et qu’il a une de ses faces qui regarde
» une colonne, cette face est diminuée de même
» que la colonne , ainsi qu’on le voit'au portique
» cle Seplimiüs, où la face qui ne regarde point
» la colonne n’est pas diminuée. Il y a pourtant
» des exemples dans l’antique, où\ les pilastres
» 11’ont point de diminution, comme on le voit
» dans l’intérieur du Panthéon , ou n’en ont que
» fort peu, et moins que la colonne, comme au
» temple de Mars Vengeur, et à l’arc de Cons-
» tantin. Dans ces cas, la pratique des Anciens
» est quelquefois de mettre l ’architrave sur le
. » nu des colonnes ; ce qui le fait retirer au de-
» dans du nu du pilastre. Ainsi’ le voit-on au
» temple de Mars Vengeur, au dedans du Pan-
» tbèoû et au portique de Septimius. Quelque-
' s fois
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» fois ils partagent la chose par la moitié, en’
» faisant saillir et porter à faux l’architrave par-
» delà le nu de la colonne , d’une moitié , et de
» le retirer de l’autre moitié sur le nu du pilas-
» tre . ainsi que cela se voit au Marché de
» Nèrva. »
Le pilastre, lorsqu’il entre dans les ordonnances
des colonnes, e§t, comme on le voit, soumis , pour
sa forme et sa proportion, aux mêmes conditions
que la colonne. Quant aux cannelures , il règne
plus de liberté dans l’application qu’on peut en
faire aux pilastres.’ Plus d’une diversité chez
les Anciens a lieu à cet égard. Quelquefois des
pilastres cannelés se trouvent associés à des colonnes
sans cannelures. Cela se voit aa portique
du Panthéon, et cela s’y explique, sans doute, par
la différence des matières. Les pilastres y sont de
marbre blanc, lorsque les colonnes y sont de granit
matière qui ne comporte point le travail de
la cannelure, et dont le principal mérite tieutau
lisse connue au poli, qui en fait ressortir le prix.
Il y a quelquefois aussi des colonnes cannelées
qu’accompagnent des pilastres non cannelés.
L’exemple s’en trouve au temple de Mars
Vengeur et au portique de Septimius. Disons encore
que ) lorsque les pilastres ont en saillie moins
de la moitié de leur diamètre, on ne pratique
point de cannelures à cette partie qu’on appelle
en retour.
Le nombre des cannelures n’a rien de fixe dans
les pilastres , si l’on consulte l’autorité de l ’antique..
Par exemple, il n’y en a que sept aux pilastres
du portique du Panthéon, à l’A rc de Septime'
Sévère et à celui de Constantin. Les pilastres de
l ’intérieur du Panthéon ont neuf cannelures , bien
que, selon l’usage ordinaire ; les colonnes n’en
aient que viugt-qualre. Les cannelures, dans le
pilastre} se pratiquent toujours en nombre impair,
si ce n’est qu’aux demi-pilastres3 qui font un
angle rentrant, on met quatre cannelures au lieu
de trois et demie ., et cinq au lieu de quatre et demie,
lorsque , dans la même ordonnance , les pilastres
entiers en ont sept ou neuf. Cela se fait
ainsi pour éviter le. mauvais effet du chapiteau,
qui, étant replié dans l’angle , seroit trop rétréci
pO^en haut, et particulièrement eu égard au
chapiteau orné de feuilles , q u i, sans cet élargissement
, n’y seroient pas suffisamment développées.
Les proportions des chapiteaux sont les mêmes
aux pilastres qu’aux colonnes pour ce qui est des
bailleurs; mais les largeurs sont différentes. Le
développement de la forme du pilastre donnant
un plus grand espace à chacune de ses faces’, si
on le suppose quadranguiaire ; on observe toutefois
de ne lui donner que le même nombre de
feuilles , qui doit être huit pour la, circonférence.
Il y a cependant aux thermes de Dioclétien et au
frontispice de Néron , des exemples de douze”
feuilles au lieu de liait,g La disposition ordinaire
Diction, d’Àichit. Tonie III.
p r l
des feuilles au chapiteau du pilastre corinthien
est telle, qu’au rang d’en bas ou en place deux,
au rang d’en- haut une au milieu, et deux et demie
aux côtés, qui sont la moitié des grandes feuilles,
placées sur l’angle. Ce qu’il faut encore remarquer
, c’est que le haut du tambour n’a point sa
superficie plane comme le bas, mais qu’il est relevé
dans son milieu , c’est-à-dire , bombé. Il
l’est ainsi de la huitième partie du diamètre inférieur
de la colonne à la basilique d’Antonin ;
mais il ne l’est que de la dixième au portique de
Septimius , et de la douzième au portique du
Panthéon. ( La plus grande partie de ces obser-
valions sont tirées du Traité de Tordonnance des
colonnes} par Perrault. )
D e l ’e m p l o i e t d e l ’a b u s d u p il a s t r e .
Ce qu’on vient de diré: sur l’origine dn pilastre
9 a dû prouver que, selon la manière la plus
ordinaire de l’employer aujourd’h u i, il n’est autre
chose qu’une colonne carrée , qu’on suppose
engagée dans un mur, et qui par consé--
quent peut être , dans cet état, appliquée à l’ordonnance
des édifices, avec autant de raison et
de vraisemblance que la colonne circulaire, lorsqu’on
l’adosse à un massif ou qu’on l’y engage.
Voilà pour celui qui veut n’admettré dans l’architecture
, que ce dont on peut rendre raison
en en constatant l’origine.
Maintenant nous dirons que le pilastre peut
être aussi considéré comïne une représentation
fictive de la colonne , et la remplacer avec convenance
dans beaucoup de cas. Quelques-uns , je
le -sais, voudroient exclure l’emploi d u pilastre
des pratiques usuelles de l’architecture, fondés sur
ce que les monumens qui nous restent de l’art des
Grecs, ne nous montrent point cette sorte d’ordonnance,
comme ayant eu cours généralement dans
leurs édifices. Mais nous ferons, à ce sujet, une
observation que nous avons déjà répétée plu»
d’une fois; c’est,que, d’une part, il ne nous est
guère parvenu de l’architecture originale de»
Grecs, qu’un fort petit nombre d’ouvrages, et
qu’il.n’y a rien à en conclure de générai ni d’absolu.
D’autre part, nous dirons que les ouvrages
d’où l’on voudrait tirer des conséquences pé—■
remptoires contre l’emploi des p ila s tr es étant
presque tous des temples assez uniformes dans
leurs plans et leurs élévations , il n’y a rien à en
conclure, sinon-que l’usage général de leurs ordonnances
n’admettoit le plus souvent que des colonnades
isolées , et toutefois l’on a vu que le
grand temple de Jupiter à. Agrigente avoit, dans
son intérieur, des pilastres engagés dans le mur
et des pilastres isolés ou des colonnes'carrées.
Cela suffit pour rendre vraisemblable que dans
beaucoup d’autres genres d’édifices et de constructions
, que nous ne pouvons plus connoître ,
les Grecs, aux meilleurs temps de l’art, ont pu ai>
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