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croire que cet artiste eut plus d’unie occasion de
s exercer dans ce genre 5 mais partout il en parle
avec cet enthousiasme que l’art porté à sa perfection
pouvoit seul exciter chez un aussi bon juge.
KBalthazar ( dit Yasari ) s’acquit d’autant plus
» d honneur , que ce genre de décoration n’étoit
» pas encore connu, vu la désuétude dans ia-
* quelle étoient tombés l’art de la poésie et celui
» de la représentation dramatique. Mais les dé-
» cotations dont il s’a g i t , pour avoir été les pre-
» micres , «’en furent pas moins la règle et le
» modèle de celles qu’on lit depuis. On a peine à
» concevoir avec quelle habileté notre décora-
». teur, dans un espace si resserré, sut représen-
» ter un si grand nombre d’édilices, de palais,
» de loges , de proiils et d’enlablemens j tout cela
» cl une te.lie vé r ité , qu'ou croyoïi voir des ob-
» jets reels, et que le spectateur devant une toile
» peinte , se eroyoit transporté au milieu d’uue
Plape véritable et matérielle , tant l’illusion ,
» cîtoit portée loin. Balthazar sut aussi disposer j
» pour son effet, avec une admirable intelli-
» g en c e ,le s lumières, l’éclairage des châssis,
» ainsi que tontes les machines qui ont rapport au
» jeu de la scène. »
A p a r t, si l’on veut, un peu d’excès d’admiration
pour ce qui est nouveau , l’éloge de Yasari
renfermoit 1 idée de tous les genres de mérite que
peut réunir Part de la décoration de théâtre. 11 en
est un cependant dont il n’a pas fait mention , sans
doute parce que ce fut celui q u i, dans le temps ,
dul produire le moins d’étonnement, je veux dire
le beau style de l'architecture ,1a correction et la
pureté des formes que, pendant long-temps, certains
préjugés avoient fait croire inconciliables
avec les charmes de la composition et l’effet de la
peinture scénique. En faisant dans les décorations
de l’arcbi lecture au tique , Peruzzi ne fit que ce
qu’il n’aproit pu s’empêcher de faire. Si ce fut
chez lui un mérite de plus, ce mérite est celui de
l ’architecte, plus encore que du décorateur. Il est
malheureux qu’il ne nous reste de tout cela que
de vains souvenirs. Tel est le sort de ce genre
d’ouvrages, sort commun à beaucoup de choses
qui durent d’autant moins , qu'elles brillent plus.
. Pour se former une idée de ce que l ’exécution de
ces peintures pouvoit être , c’est à la Farnesiue
qu’il est encore possible de se le figurer.
La décoration considérée sous le rapport d’ar-
clii lecture feinte ou d’imitation en grand des oeu- {
vres de l’art de bâtir par l’art de peindre, compte
Balthazar P e ruz z i au rang de ses plus grands
maîtres, si elle ne le met à la tête de tous. Il ne
paroît pas qu’on ait jamais porté plus loin l’illusion
de cette sorte d’imitation , que dans la loggia
de la Famesina , qui donne sur le jardin, et où
est peinte l’histoire de Méduse. On raconte dans
l’histoire de ce genre de peinture . plusieurs traits
-d’animaux , d’oiseaux surtout, trompés par les
prestiges de la perspective linéaire 3 et ceux de la
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couleur dans des vues d’architectqyp. L ’ouvrage
de Balthazar fit plus, il trompa non-seulement
des hommes, mais les plus. habiles peintres. Titien
, conduit un jour par Vasari dans celte salle,
fut tellement induit en erreur par le relief des 01-
nemens et des profils peints, que déjà détrompé
par son guide , il eut besoin encore que le tact
désenchantât ses yeux. Telle est effectivement la
perfection de ces détails, qu’encore aujourd’hui
l’oeil ne cesse pas d’être dupe, après que l’expérience
en a rectifié le jugement.
Ce q u on appelle actuellement la Famesina ou
le petit palais Farnèse , étoit celui d\Augustiu
Cliigi. Sou architecture est de Balthazar Pe-
ruz z ij quoique l’extérieur ait perdu la plupart des
agrémens ■ de détail qui l ’embellissaient , ce ne
laisse pas que d’être encore un des plus charmans
édifices de Rome. Sa façade principale, c ’esl-à-
d ire , celle d’entrée du côté de la cqur, offre au
rez-de-chaussée une belle loggia ou un portique
"qui se compose de cinq arcades. C’est dans ce
portique que Raphaël a peint la fable de Psyché.
Cette loggia est en retraite, ainsi que lè corps
principal du bâtiment, de deux ailes qui lui fout
avant-corps. Une. ordonnance de pilastres doriques
règne dans tout l’étage du rer-de-chaussée
et dans sa circonférence, avec la plus grande régularité.
Cette uniformité n’est interrompuë que par
les arcades dont 011 a parlé. Mais c ’est toujours le
même ordre de pilastres , et sans aucune inégalité
d’entre-colonnemens, l’ouverture des arcs étant
de la même mesure que l’entre-deux des pilastres,
ce petit portique donne de la variété à la masse ,
sans rompre Puai té de la composition. L’étage qui
s’élève au-dessus du rez-derchaussée présente la
même distribution et la même ordonnance de pilastres
doriques, appliqués aux trumeaux des fenêtres
dans tout le pourtour. On peut trouver
quelque monotonie dans cette répétition du même
ordre. Une chose y frappe encore., c’est que l’ordre
inférieur est plus svelte que le supérieur.
Quel que soit le défaut que la critique puisse remarquer
en cela , il est toujours certain qu’il
n’ôte rien à l ’accord, à la grâce et à la symétrie
de l ’ensemble. La frise qui surmonte l’étage dont
on vient de parler, est ornée de festons soutenus
par des génies et des candélabres, qui font assez
heureusement diversion au rang de petites fenêtres
pratiquées entr’eux, dans cette espèce de mez-
zanino. Tous les détails des profils sont purs, de
cette sorte de pureté, qu’on pourroit appeler at-
tique, et qui donne à cette architecture un genre,
d’élégance qu’on ne peut bien définir, qu’en le
comparant à celui d’une statue grecque.
Ce petit palais dut être, dans son temps , une
merveille, par la réunion de la peinture et de
l’architecture de Peruzzi. Tous les dehors en
étoient ornés de sujets en grisaille, aujourd’hui
effacés. On ne peut plus appeler que l'imagination
à s’en figurer l’image. Quand on pense, en effet,
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au double taletit de l’artiste qui en dirigea l’exécution
et comme architecte et comme peintre,
on peut comprendre tout ce que dut offrir d’harmonie,
un ensemble né d’une telle conjonction de
circonstances. Dès-lors s’explique facilement l’éloge
que Vasari en a fait par ces deux mots : Si
yede non murato } ma veramente nato. C’est ce
qu’on peut dire de tout ouvrage produit par le sentiment
qui crée, et non par le savoir qui façonne.
Balthazar Peruzzi excelloit dans ce genre
d’ornemens que les Italiens nomment a teretta
et que nous appelons grisaille. Un en usoit beaucoup
alors dans l’embellissement extérieur des
maisons. On se servoit, pour ce la , d’une combinaison
de terre argileuse, de çharbpn pilé et de
poussière.de travertin ou de pierre calcaire. Le
dessin se faisôit en creux sur l’enduit, et les hachures
se remplissoient ou de blanc ou de noir,
pour produire les grands clairs ou les ombres.
Rien ne jouoit, mieux la sculpture , et c’étoit une
manière économique de faire ou des bas-reliefs ,
ou des ornemens. ù'Jalheureuseftient pour les productions
de quelques habiles maîtres en ce genre,
le temps ne les a pas épargnés plus que d’autres ,
et l’on cberchëroit en vain aujourd’hui celles de
Balthazar a Rome, il n’en existe plus que des
souvenirs.
Etant allé à Bologne , il y fit deux dessins eù
grand avec leurs coupes , pourla façade de S. Pe-
tronio, dont l’un étoit dans le goût moderne et
l’autre dans le style gothique. Il les accompagna
de projets fort ingénieux pour approprier la nouvelle
construction à l’ancienne, sans endommager
celle-ci. Ces dessins furent admirés , mais restèrent
sans exécution. On cite comme son ouvrage
la porte de l’église de S an-Michel in Bosco, beau
couvent situé hors de Bologne , la cathédrale de
Carpi , exécutée sur ses dessins, et l ’église de
Saint-Nicolas, dans la même ville , dont il commença
les-travaux et, qu’il abandonna , forcé qu’il
fui de se livrer à ceux des fortifications de la ville
de Sienne.
De retour à Rome il fut employé par Léon X
à la construction de l ’église de Saint-Pierre. Bramante
en avoitjeté les fondemens avec cette précipitation
qu’il mettoit, ou si l’on v eut, que Jules
II lui faisôit mettre dans la plupart de ses ouvrages.
Après la mort de l’ un et de l’autre, on fut
effrayé de la grandeur des masses et de la foiblesse
des points d’appui. On n’avisa plus qu’aux moyens
de diminuer les uns et d’augmenter les autres.
Balthazar Peruzzi fut chargé de faire un nouveau
modèle ; Serlio nous l’a conservé. C’est une;
croix grecque, dont les quatre branches se terminent
en hémicycle. Extérieurement et entre chacune
des parties circulaires formées par lés hémi-
^ycles , s’élève, sur un plan carré , une sacristie.
Ces quatre masses dévoient servir de soubassement
a autant dé campaniles. A l ’extrémité de chaque
hémicycle est une porte ouvrant sur un pprtique
demi-circulaire qui donne entrée dans l’église,
par trois ouvertures , ou si l’on v e u t , trois enlre-
colonnemens. Le grand autel est entre les quatre
grands piliers, sur lesquels s’élève une coupole de
188 palmes de diamètre. Celle-ci est accompagnée
de quatre petites coupoles de 65 palmes de
diamètre , qui s’élèvent au point central du croisement
des bas côtés enlr’eux. Tout ce. plan est
conçu avec la plus grande intelligence. Quoiqu’il
n’ait pas eu d’exécution , il n’a pas été inutile
aux architectes qui ont remplacé Balthazar Pe~
ruzzi.
Cet artiste fit bien voir par la belle composition
de ce plan, que son génie étoit de niveau avec
les plus hautes idées de l’architecture, et que celui
qui savoit ainsi rectifier Bramante, pouvoit
bien lui succéder. Cependant, soit que la fortune
des grands talens en architecture dépende d’un
certain concours de circonstances, soit que les
grands talens aient aussi besoin d’un certain art
de faire fortune, av.t que le caractère timide et
réservé de Peruzzi ne lui permit pas de pratiquer,
lu construction de Saint-Pierre ne fit que languir
sous sa direction indécise. Malgré la protection
de plusieurs grands personnages qui savoient apprécier
son mérite, il continua d’être employé à
de plus petits ouvrages, c ’est-à-dire , à la construction
de palais qui n’ont de petit que l’étendue
de leur masse ou de leur superficie.
Mais il e s t, en architecture , une grandeur qui
échappe aux mesures du compas. Produite par le
génie de l ’artiste, elle n’est appréciable que par
l’homme de goût. Celui-ci passera sans eu recevoir
aucune impression devant beaucoup de ces
immenses palais qui renferment dans leur enceinte
plusieurs arpens de terrain. Il se trouvera
involontairement arrêté à l’aspect des charmantes
façades dont Balthazar P e ruzzi a orné di-
, vers palais plus modestes. Ces masses élégantes,
vrais modèles du genre qui convient au plus grand
nombre des propriétaires, seront toujours l’objet
des éludes de celui qui desire mettre le goût de
i la bonne architecture , à la portée des classes
moins opulentes de la société. C’est de semblables
édifices que Poussin faisôit un recueil pour
les fonds de ses. tableaux, et l’ on peut croire que
les édifices bâtis par Peruzzi étoient le type de
ceux dont ce grand peintre composoit les belles
perspectives de,villes antiques, qui, dans plus
d’un de ses ouvrages, partagent avec leurs figures
l’admiration du spectateur.
Du nombre de ces maisons sont celle que l’on
voit près la place de Saint-Pierre , rue Borgo-
Nuovo, et icelle qui est à l’entrée de la rue qui
aboutit en face du palais Farnèse. Toutes deux
sont gravées dans le Recueil des palais de Rome ,
par Falda. C’èst là que- ceux qui ne les ont pas
vues peuvent s’en former l ’rdée. Toute description
orale est insuffisante à l ’égard d’ouvrages ,
dont le principal mérite lient à une certaine grâce