dans la continuation de l’entreprise, eut l'honneur
de triompher de toutes ses difficultés; mais de
nouveaux contre-temps vinrent suspendre son
exécution. Ce fut d’abord la mort de Léon X , ce
futensuite le pontificat d’Adrien VI, et enfin le sac
de Rome, sous Clément VII.
Sansovino échappa à tous les malheurs de celte
époque , et sa bonne fortune lui fit trouver un
asyle à Venise , où désormais nous le verrons
déployer, comme architecte, les grands talens
dont il n’a voit montré jusqu’alors, si l’on peut dire,
que les préludes.
Deux circonstances concoururent à le retenir
dansla ville, qui devint pour lui une nouvelle patrie.
La première fut la haute protection du doge Gritti,
qui, quatre arvs auparavant, l’avoit accueilli avec
toutes sortes de bienveillance. La seconde, et qui
influa sur la destinée du reste de sa vie, fut sa
liaison avec Pierre Aretin, liaison qui se changea
en une étroite amitié, que vint resserrer de
plus en plus leur uuion avec le célèbre Titien,
d’où naquit cette espèce de triumvirat si profitable
aux arts, et que la mort seule peul dissoudre.
Sur ces entrefaites, maître Buono, architecte
des vieilles Procuraties , vint,à mourir, et Sansovino
fut appelé à lui succéder dans cel emploi ,
avec un traitement de quatre-vingts ducats , et
une maison pour son habitation, sur la place
Saint-Marc, près de l’horloge. Cet emploi com-
prenoit dans ses attributions , la surintendance
d’inspection de l’église de Saint-Marc , du campa-
uile, et des constructions adjacentes (excepté le
palais ducal).
La première opération qu’il proposa, fut l’enlèvement
et le déblaiement des boutiques, échoppes
et bâtisses en bois, qui encombrant les deux
grandes colonnes de granit, ornement de ce lieu,
le déparoient, et masquoient la vue du grand
canal.
Un travail plus important l’occupa bientôt, je
parle de la -réparation des coupoles de l’église de
.Saint-Marc, singulièrement détériorées par leur
vétusté d’abord, et puis par l’accident d’un incendie,
dont elles avoient beaucoup souffert, un siècle auparavant.
Il entoura la grande coupole, celle qui
est au centre de la croisée, par un cercle de fer
composé de plusieurs bandes dentelées, qu’on
serra le plus possible avec des écrous de bronze
et des coins du même métal. Ce cercle fut placé
en dehors, un peu au-dessus des cintres des
petites fenêtres , pour arrêter les progrès de quelques
lézardes de la coupole. Encore aujourd’hui ,
les ou vriers l’appellent i l cerchio del Sansovino 3
pour le distinguer des deux cercles, qui furent
placés, dans la suite, autour de la coupole dite
de la Madone , et de celle qui est vis-à-vis la porte
d entrée. Sansovino restaura aussi tous les dômes
qu’on admire dans l’intérieur du temple, et il eut
un tel succès dans ces travaux délicats autant que
pénibles, qu’outre la réputation qu’il en acqifit,
on porta son traitement annuel à la sommé de !
cent quatre-vingts ducats.
Le bâtiment de l’école ou confrérie de la Miséricorde,
entrepris dès l’année i 5 o8 , d’après
le modèle d’Alexandre Liompardo , par Pierre et
Jules Lombardi, étoit resté sans exécution. L’an
i 5û2 , Sansovino fut chargé d’en faire l’architec-
ture : et de fait, ce qui existe de cet édifice est entièrement
son ouvrage. Quoiqu’il n’ait pas reçu
son complément, surtout à l’extérieur, toujours y
trouve-t-on, soit dans les niches qui le décorent,
soit dans des détails de profils, et le style de ce
maître, et les preuves de la magnificence avec laquelle
l’ensemble a voit été conçu. Mais c’est surtout
par l’intérieur, qui offre des parties achevées,
qu’on peut en mieux juger. Outre ua bel escalier
et la chambre qu’on appelle X Albergo 3 on y voit
deux magnifiques et vastes salles, l’une à rez-de-
chaussée, l’autre au-dessus : celle d’en bas est
partagée en trois nefs, par deux rangées de colonnes
d’ordre composite, et les murs latéraux qui
soutiennent le plafond. La salle supérieure n’a aucune
décoration, mais on ne croit pas qu’origi-
nairement elle ait été projetée avec autant de simplicité.
Dans le même temps, Sansovino cominençoit
sous les auspices du doge Gritti, la construction
de l’église de Saint-François de la Vigne , monument
simple, mais de cette noble simplicité qui
est souvent le véritable luxe des édifices religieux,
Tout l’intérieur, moins la coupole, fut exécuta
sur ses dessins. Probablement quelques circonstances
qu’on ignore, suspendirent l’achèvement
entier de cette église, car nous lisons que cedôm#
et sa façade furent l’ouvrage de Palladio.
Une médaille représentant l’extérieur de celte
église, tel que Sansovino l’avoit projeté, dous
donne l’idée du frontispice qu’il comptoit y ajuster.
On est obligé de convenir qu’elle n’a pu que
gagner à celui que Palladio y a substitué.
L’antique bâtiment de la Monnoie, à Venise,
menaçoit ruine, et il n’y avoit aucun moyen de U
réparer. En 15 3 5 , il fut décidé d’en construire un
nouveau. Trois architectes présentèrent des projets.
Le conseil des dix choisit celui dé Sansovino}
qui fut exécuté. Son architecture offre uu ensemble
qui seroit digne par son plan el sa belle construction,
d’appartenir au palais d’un prince, ha
construction est toute en pierre d’Istrie. Sansovino
avoit dû contracter à Florence le goût du bossage,
goût dont les Anciens ont laissé d’assez nombreux
exemples , et on a eu occasion de faire voir, dam
la vie de plus d’un architecte florentin, que certains
genres de matériaux invitent, plus que d’autres,
à cet emploi de la pierre. Or, aucune nj
convient mieux que celle de Florence, soit par sa
t couleur, soit par sa dureté, ou la grandeur de*
masses qu’elle fournit. La pierre d’Istrie, la plu.®
belle que l’on connoisse, et qui approche le pl^
du marbre blanc, devoit inspirer à l’architect®
T a T
lus de réserve dans l’application de l’emploi dont
F parle, et il nous semble que Sansovino3 et,
apres lui’, les plus célèbres architectes vénitiens ,
ont usé de celle réserve. Au reste, rien ne conve-
DOit mieux que la sévérité de ce goût de construction,
au caractère du bâtiment à élever pour la
Monnoie , genre de monument dont la destination
principale semble exclure tout a la fois, et iidee
de la magnificence, et celle de l’élégance.
On ne saüroit disconvenir, que la façade qui
donne sur la Peschiera 3 ne réponde très-bien,
par son style, à l’usage d’un hôtel des monnoies.
Sa masse est à trois étages, en y comprenant le
rez-de-chaussée qui se compose de neuf arcades
en bossages. Dans la suite,, et par raison d’utilité
pour le service intérieur, les ouvertures de ces
portiques furent bouchées jusqu’aux impostes de
leurs cintres, et ce changement n’a contribué
qu’à mieux faire ressortir le caractère de l’édifice,
i;/.taue au-dessus est une ordonnance dorique,
dont les pilastres sont entrecoupés de bossages;
la frise a dès triglyphes et des métopes. Le troisième
étage, ou l’étage supérieur, est orné d’un
ordre ionique , qui porte un entablement avec-des
consoles. Il règne d’un étage à l’autre une progression
d’ornemens rendue fort sensible. Ainsi on }
a vu que de simples arcades sont surmontées I
d’une ordonnance dorique, au-dessus de laquelle
s’élève l’ionique. La même gradation se fait remarquer
dans les ouvertures, qui sont, au bas,
des cintres en bossages , plus haut, des fenêtres
sans, chambranles; et tout en haut, des croisées
avec chambranles et frontons.
L’intérieur, ou la grande cour de cet hôtel des
monnoies, est parfaitement d’accord, dans son
élévation, avec l’extérieur qu’on vient de décrire.
J’eniènds que c’est la même disposition générale,
la même ordonnance et la même dimension en
hauteur. Elle en diffère seulement par plus
d’étendue en longueur, et par l’étage au-dessus
des arcades du rez-de-chaussée , qui , an lieu de
ifenêtres, est lui-même en arcades , et forme aussi,
au-dessus des galeries inférieures, un antre promenoir
ouvert, circulant tout à l’entour de ce grand
cortile. On doit mettre cette architecture sur la
première ligne des beaux édifices , produits de la
jurande école que le seizième siècle vit briller et
Véteindre , et d’où sont sorties toutes les înn-
[ tâtions plus ou moins heureuses des siècles sui-
ransl '
En 15 36 , le Sénat résolut de faire construire un
édifice digne de recevoir la belle et précieuse
collection de livres, qu’avoient donnée à la république
François Petrarca, et le cardinal Bessa-
iri'on. Sansovino fut chargé d’exécuter nu modèle
îdfice monument, et le modèle approuve, Par-,
chilecte së mit à l’oeuvre.
Le pkn de l’édifice, tout en longueur , nous •
K offre uue suite de vingt-un portiques on arcades
*u rez-de-chaussée, sur la petite place Saint-
T A T 439
Marc, avec un retour de trois des memes portiques
, d’un côté vers la lagune, de Pautre vers le
campanile. Ces portiques font suite aux galeries
de la grande place Saint-Marc. L’ordonnance
des portiques à rez-de-chaussée est dorique :
celle de l’étage supérieur est ionique; les arcades
| y sont des fenêtres cintrées, rétrécies par de plus
petites colonnes, ioniques elles-mêmes. Sansovino
en concevant celte décoration , avoiteu l’intention
de se raccorder avec la hauteur des deux étages de
l’aile de la place Saint-Marc, déjà depuis longtemps
construite , c’est-à-dire quen vue de 1 a-
ebèvement de l’aile gauche devant faire suite aux
portiques de sa bibliothèque, il setoit impose la
sujétion d’une hauteur déjà donnée , et d une disposition
qui, ainsi- que sa dimension, auroient
dû faire la loi. (On peut voir a la vie de Sca-
mozzi, que cet architecte ne tint aucun compte de
la prévision de son prédécesseur. )
Quoi qu’il en soit, il nous semble que ce fut la
véritable raison qui engagea Sansovino a donner
aux entablemens de ses deux ordres, la hauteur
qu’on y remarque. En effet, l’entablement de son
ordre dorique a, en hauteur, le tiers de la colonne,
et celui de l’ionique au-dessus en a plus de
la moitié. Tout annonce , et la balustrade qui ler-
; mine l’élévation le donne encore à penser, que
l’arclïitecle eut besoin de porter celle-ci jusqu’à
un certain point obligé. Toutefois le talent de
f l’artiste fut d’avoir fait disparoître le résultat de
cette sujétion , par la beauté et la variété des
ornemens dont il embellit sa façade. Les archivoltes
de toutes ses arcades sont remplies de
fi ou res sculptées. Rien de plus riche que la frise
dorique,, si ce n’est celle qui règne au-dessus de
l'architrave ionique. C’est ici surtout que se manifeste
avec évidence le dessin, dont on a parlé,
d’exhausser l’élévation de cette façade. La frise
dont on parle a presqu’aulant de hauteur que l’architrave
et la corniche ensemble ; son champ est
occupé par une suite de petits génies, soutenant
: des festons, des cartels et des mascarons qui se
trouvent mêlés avec beaucoup de goût à celte
composition. Ailleurs,la même frise renferme des
bas-reliefs, continus. La corniche offre dans ses
j profils tous les ornemens que peut comporter l’ordre
ionique. Une! balustrade surmontée de statues,
! couronne le tout, et s’élève assez pour cacher
‘ d’en bas, la vue d’un comble fort exhaussé, que
! l’intérieur du local avoit nécessité.
L’arcade du milieu de la grande façade conduit
I à un bel escalier à deux branches , richement
décoré dans ses vontes , par Alexandre Viltoria.
Il donne entrée dans une grande pièce, où est
renfermée une riche collection de sculptures antiques,
dont l’heureuse disposition appartient à
Scamozzi, qui acheva cet intérieur (comme on
peut le voir à la vie de cet architecte). De là
ou passe dans le local-même de la bibliothèque,
qui occupe sept arcades de ce bâtiment en ion