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l ’autre qui ne signifie qu’une identité naturelle
entre les formes de quelques ouvrages , l’archi-
teclure ne pouvoit point se passer de cette dernière
sorte d’uniformité. Cependant, plus ôn
reconnoît cette condition de l’existence de cet
ar t, plus on est forcé d’avouer Je besoin qu’il a ,
comme les autres, et à cause de cela même plus
que d’autres , d’introduire la variété dans ses ouvrages.
Ainsi, l ’architecte, jusque dans l’uniformité
nécessaire des masses symétriques d’une façade
de bâtiment, y saura encore faire entrer quelque
variété} au moyen de certains mouvemens
dans les lignes, dans les saillies, dans les combinaisons
de leurs détails. Il saura c o r r ig e le
trop d’uniformité d’un plan, par certaines oppositions
de rapports entre les parties, oppositions
qui sont un artifice de l’ar t, pour déguiser une
symétrie trop sensible. Il saura ménager, contre
l'uniformité obligée des principales parties de son
élévation , des variétés y parle mélange ingénieux
des pleins et des vides ; des parties lisses ou travaillées
, par une succession de richesses et de
repos, par l’emploi des différens caractères des
ordres. Mais l’application variable à l’infini de
tous les objets de décorations et d’ornemens , de
toutes les matières plus ou moins riches, de toutes
les couleurs, de toutes les substances dont 1 art dispose,
lui donnera des ressources sans nombre ,
qui , sans rompre l’unité de l’ensemble , en feront
au contraire valoir d’autant plus l’effet.
Car il faut le répéter, la variété n’est le contraire
, ou l’ennemie , que de l’uniformité, qui
est l’abus de l’unité ; elle sert au contraire l’unité,
qui sans elle tomberoit dans cette sorte d’uniformité,
qui en théorie est synonyme de monotonie.
V A S A R I ( G e o r g e s ) , né à Arezzo en i5i2,
mort en i 574* '
Trois genres de talent et de mérite, dont nn
seul eût suffi pour faire la réputation de Georges
Vasari, ont recommandé son nom et sa mémoire
aux éloges de la postérité. Peinire, architecte et
écrivain biographe, il pourroit, sous chacun de
ces titres, fournir la matière d’une notice assez
abondante. Nous resserrerons dans le plus court
espace qu’il sera possible, les renseignemens
étrangers à l’art de l ’architecture, le seul sous
lequel il appartienne à notre ouvrage de le considérer.
Dans sa vie écrite par lui-même, et qui termine
la série de toutes les vies des célèbres peintres
, sculpteurs et architectes, connus de son
temps, Vasari s’est étendu avec le plus grand
détail sur ses propres travaux en peinture. Le
nombre en est incroyable, et certainement aucun
peintre n’eut plus de facilité, ne fut doué d’un
esprit plus fécond, et d’une plus grande rapidité
d’exécution. A peine peut-on citer l’école où il
puisa les leçons de la peinture. Après en avoir
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reçu les premiers élémens chez un maître obscur,
on le voit étudier de lui-même les ouvrages d«
quelques maîtres célébrés,.on le voit apprend 1«
à mesure qu’il fa it, et faire à mesure qu’il apprend.
Il va de ville en v ille , de pays en pays,
accepte tous les ouvrages qu’on lui présente, s’enhardit
peu à peu à de plus grandes èntreprises,
trouve dans les ducs de Toscane des protecteurs.,
n’en courtise aucun , et sait se rendre tour à tour
indépendant sans orgueil, et dépendant sans bassesse.
Il va plusieurs fois à Rome, il y connoit
Michel-Ange, dont il ne fut réellement point
élève, autrement que pour avoir dessiné d’apri,s
quelques-unes de ses productions. Dans la vérité,
Vasari ne fut ni le disciple ni l’imitateur de personne,
on ne sauroit même dire à quelle école il
»tient particulièrement. Peut-être n’a-t-il ni les
défauts ni les beautés d’aucune. Il se fit une matière
à lu i , manière libre, expéditive , et dont fe
goût, tenant un peu de tout, ne fait aucune ln -
pression; en sorte qu’on ne le cite jamais, qu’ui
11e l’a jamais ni blâmé ni loué, et qu’ il est tout-à-
fait hors du cercle de ces maîtres , auxquels |èi
générations suivantes ont, dans un genre ou dam
un autre, demandé des leçons et des modèles.
Il pratiqua tous les genres et tous les procédés de
peinture, et dans tous il paroît avoir porté une
facilité de composition et d’exécution, qui seule
peut expliquer la multitude incroyable d’ouvrages
qu’il a produits. Dans l’impossibilité de les dénombrer,
on se contentera d’appeler les souvenirs du
lecteur, sur les peintures de la chancellerie et
de ia Sala regia du Vatican à Rome, et sur les
vastes compositions des voûtes de la grande salle
du P a la z zo Vecliio à Florence.
Lorsque de tels et de si grands ouvrages n’ont
pu faire surnager la réputation d’un peintre,
an-dessus de celles de ses contemporains; lorsqu’ils
n’ont pu placer son nom dans le petit nombre
de noms célèbres, que tous les âges répètent ,
et transmettent aux éloges des âges suivans, ü
faut bien qu’il y ait une cause,' que la critique
du goût doit rechercher. Cette cause nous 11’avons
ici ni le moyen, ni le temps de la développer,
et une telle discussion nous éloigneroit trop du
but d’un article, où Vasari ne doit paroître qu«
sous le titre d’architecte. En deux mots, on hasardera
de dire que Vasari, comme peintre, ne se
recommande, dans le fait, par aucune qualité
spéciale, qu’il n’eut ni l’expression, le sentiment
de vérité et de noblesse de fécole de Raphaël,
ni le savoir et la hardiesse de dessin de l’école de
Michel-Ange, ni la pureté et la grâce de Léonard
de Vinci , ni le charme de la coulear vénitienne ,
et qu’il fat avec les Zuccberi, un des peintres
qui précipitèrent alors la peinture dans les écarts
d’un mauvais g oû t, comprimé d’abord par l’école
des Carrache, mais qu’on voit reparoître enfin
avec plus de hardiesse, vers le milieu du dix-
septième siècle.
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Comme architecte, Vasari nous paroît raérher
d'être cité, sinon parmi les premiers maîtres de cet
art t et ceux dont un génie particulier a rendu les
productions classiques, du moins entre les hommes
ingénieux et habiles qui, sans s’écarter du bon
tfoût, ont su connoître et mettre en oeuvre des
ressources que l’artiste doit souvent à son esprit,
plutôt qu’à l’étude. Dans cet ar t, Vasari eut encore
moins de maîtres qu’en peinture. Lui-meme
noos apprend que pour se rendre de plus en plus
utile au duc Alexandre de Médicis, qui s’dcou-
poit beaucoup de fortifications, il se mit à étudier
la construction et à faire des études d’architecture.
L’entrée à Florence de Gharles-Quint en
1536 lui fournit bientôt l ’occasion de travailler
avec Tribolo aux dessins d’arcs de triomphe et
de décorations, qui furent commandés pour la
réception de l’empereur. Deux an» après , Vasari
étqit à Rome pour la seconde fois. Là il passa tout
son temps (nous dit-il) à dessiner tout ce qu’il
avoit omis dans son premier voyage, et en particulier
les objets que la terre receloit sous les ruines
de l’antique Rome. 11 ne négligea aucun ouvrage
d’architecture ou de sculpture, et le nombre des
dessins qu’il fit alors monta à plus de trois cents.
Voilà d’après son propre récit à quoi se bornèrent
ses études en architecture.
L’élévation à la chaire de Saint-Pierre du cardinal
di Monte sous le nom de Jules I I I , donna à
Vasari l’occasion d’entreprendre un véritable
ouvrage d’àrchitecture. Le cardinal, passant par
Florence pour se rendre au conclave, pronostiqua
qu’il seroit pape, et engagea Vasari, si sa prédiction
se réàiisoit, à venir le trouver à Rome. Vasari
n’eut pas plus tôt appris l’exaltation du nouveau
pontife , qu’il se rappela l’invitation et se bâta d’y
répondre. Le pape l'accueillit de nouveau, et lui
ordonna ia construction de cette maison de campagne,
située hors de la porte del Popolo, dont
on appelle aujourd’hui les restes, Vigna di Papa
Giulio. Vasari en fut le premier architecte , et il
paroît que la plus grande difficulté qu’il y éprouva,
fut de satisfaire à tous les caprices du pape, qui
ne savoit à quoi fixer ses idées. Plus d’un architecte
y succéda à Vasari. Vignola fut celui qui
poussa le plus loin cet édifice. Il paroît qu’il n’y
reste plus du premier ordonnateur que la grotte ou
fontaine souterraine, an-dessus de lâquelle Am-
snahati construisit une fort belle loggia. De toutes
les dépenses du pape, et des travaux de tant
d'habiles architectes, il ne subsiste plus guère
aujourd’hui qu’une espece de rtnne, ou l’on va
encore avec plaisir chercher des détails de goût,
et de précieux vestiges de la belle manière du
seizième siècle.
Vasari revint bientôt à Florence, où de plus
importantes entreprises alloient ldi offrir de plus
heureuses occasions de montrer son talent en ar-
pbitêcture.
Pe ce noçibre fut, sans aucun doute, celle du
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grand édifice appelé encore aujourd’hui gli TJffiz
quoique, par un heureux changement de destination
, il soit devenu spécialement le Muséum
d’arts, on ce qu’on appelle maintenant la Galerie
de Florence. Nous ne parlerons pas ic i de l’heureuse
distribution de ce magnifique local, certainement
le plus beau et le mieux accommodé qu’il
y ait à son emploi. Nous bornant à l’extérieur de ce
monument, nous dirons qne Vasari s’y . montra
architecte, ingénieur et constructeur habile.
Cet édifice, composé de deux ailes parallèles de<
210 pas de longueur, réunies à leur extrémité, sur
le quai qui borde l’A rn o, par un corps de batiment
qui les rattache, dans une longueur de 70
pas, forme une sorte de cour environnée dans ses
trois côtés de portiques, dans lesquels Vasari a,
peut-être pour quelques raisons de solidité,
adopté un parti d’ordonnance un peu compliqué.
Au-dessus de ces portiques règne un al tique
que surmonte un étage de grandes fenêtres cintrées.
Quoique toute cette composition ne soit
point un modèle de pureté, on ne peut s’empêcher
d’y admirer un assez bel aGeord, et généralement
un parti aussi heureusement conçu que bien exécuté.
Les détails que Ruggieii en a donnés dans sa
Scelta d’architetture di Fiorenza , sont généralement
purs et corrects, si l’on excepte quelques
caprices d’ornemens de portes , en place de frontons,
qui éloient devenus comme une mode au
temps dé Michel-Ange.
Un des plus grands travaux de Vasari, et qui
l’occupa le plus long-temps , fut la re fon ted gu
fit dè tout l’intérieur du P a la z zo Vechio. Cet
énorme bâtiment avoit été, de siècle en siècle,
modifié, rajusté sans plan, sans ordre, ni méthode,
au gré de toutes sortes de besoins et de sujétions.
Le grand-duc voulut enfin réordonner tous ces
élémens, et il chargea Vasari de lui faire les plans
d’uné restauration entière de cet intérieur, et
d’après ce plan un modèle en bois, qui mît à
même de bien apprécier la nouvelle distribution.
Le grand-duc approuva le projet et ordonna de
mettre la main à l’oeuvre.
Il faut lire dans les détails qu’en a donnés
Vasariy quel prodigieux travail exigea cette
grande restauration. L’intérieur fut entièrement
changé pour la construction et la disposition. A
la confusion et an désordre de toutes les parties
que le hasard y avoit créées, on vit succéder un bel
escalier, une- série de grandes et belles salles , de
cabinets, de chambres, de galeries, avec une chapelle,
enfin avec toutes les commodités que les
change rue ns survenus dans les moeurs y a voient
rendues nécessaires ; toutes choses dont la description
, très-difficile à rendre claire en ré c it , alon-
geroit fort inutilement cet article.
Ce qui nous paroît digne d’être observé daDS ce
grand travail de Vasari y c ’est le soin qu’ il prit,
comme architecte à la fois et comme peinire ,
d’affecter à chacune des pièces de sa distribution,
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