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perfection peut le plus facilement se mesurer par
Xordre qu’on y verra dominer, et par l’évidence
avec laquelle il s’y montrera.
Nul doute que dans toutes les architectures les
plus étrangères entr’elles, il ne règne quelqu’élé-
ment d’ordre. Une négation absolue tordre ne
saur oit peut-être exister* dans aucun ouvrage des
hommes , et l’on en retrouvera toujours quelque
id é e , jlisque dans la huile ou dans la cabane la
plus informe du sauvage. Mais il est sensible qu’en
fait de théorie, on n’appliquera la notion d'oidre
qu’à l’ouvrage qui en portera le caractère au plus
haut degré. Il en sera de Y ordre y considéré en
tant que qualité , comme de toutes les autres
qualités : on ne reconnoit celle du génie, de l’invention,
du raisonnement, et bien d’autres , dans
les ouvrages des arts , qu’autant qu’elles s’annoncent
par un degré de supériorité remarquable ;
et ceux qu’on juge comme en étant privés , ne
laissent pourtant point d’en avoir souvent, mais
dans un degré inférieur. C’est sur la différence de
cette mesure qu’ont lieu les controverses , lorsqu’un
esprit de critique , rétréci, ou sophistique ,
se plaît à nier ce qui ne sauroit avoir d’évidence
mathématique.
En un mot, la notion d'ordre y en théorie d’art
et de goûrt, emporte avec soi l ’idée d'ordre par
excellence.
O r , Vordre par excellence , dans l’architecture
sera celui qui reposera sur le système le plus comp
le t, c’est-à-dire celui où se montrera le plus à
découvert le principe de l’intelligence , qui aura
coordonné de la manière la plus juste , la plus
Constante , les rapports de chaque parlie-avec le
tout , et du tout avec chaque partie , par l ’harmonie
des proportions.
Mais c’e s t , comme on le dira ailleurs ( voyez
P roportion ) , sur l’idée de proportion que le plus
grand nombre prend le change. On donne très-
improprement ce nom aux principaux rapports
d’un objet quelconque : chaque objet a sans doute
des rapports de hauteur, de largeur, etc. ; mais
ces simples rapports de mesure ne font pas la proportion.
La nature produit fort diversement les
corps 4ou les êtres qu’elle a créés ; tous et chacun
d’eu x , ont leurs rapports, mais tous n’ont
pas des proportions générales et fixes. Chaque
montagne , chaque rocher, chaque arbre , a ses
rapports à soi particuliers 5 mais de cela seul qu’ils
lui sont particuliers, ils n’entrent pas dans le système
des lois des proportions. Il 11’y a réellement
que les corps appelés organisés qui aient des proportions
; cela s’entend d’un seul mot. Ainsi, de
la grosseur de la branche de chaque arbre, on
ne conclura ni la grandeur , ni la grosseur de :
l’arbre ; car l’on sait combien de hasards ren- '
d-roient cette règle fautive et trompeuse en en j
généralisant l’application. Au contraire, chaque j
animal est organisé d’une manière tellement cons- \
tante dans son espèce , et les rapports d’un de ses I
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membres avec son corps sont tellement uniformes ,
qu’une seule partie vous fait connoître la mesure
du tout ( e x un-gué- leonern') , et réciproquement
011 peut le dire du tout.
Voilà ce qu’on appelle proportion ; voilà l’image
de V ordre. S’il est impossible de nier que ce ne
soit là l'ordre par excellence-^ appliqué aux oeuvres
de l ’arebiteelure , il ne sera pas difficile de
discerner entre les diverses architectures connues,
quelle sera celle qui méritera la préférence sur les
autres. 11 est clair que ceci nous offre une mesure
qui ne dépend ni du caprice ni de la prévention.
Nous ne prétendrons pas ici parcourir tous les
pays de la terre, pour soumettre à ce parallèle les
différentes manières de bâtir ( que les articles de
ce Dictionnaire ont déjà fait connoître) ; un court
exposé suffira au résultat de cette théorie.
Deux seules architectures peuvent être soumises
!i à cette recherche ; celle de l’Egypte , et celle qu’on nomme gothique.
Y eut-il en Egypte un principe à'ordre tellement
régulier, tellement généralisé et cons,tani ,
1 qu’on puisse en déduire un véritable système de
proportions j* Quelque prévei V on que les monu-
I mens aujourd’hui bien connus de cette architec-
! ture aient pu faire naître en sa faveur, nous
j croyons qu’on s’est trompé en cherchant à lui ap-
! piiquef les mêmes propriétés que celle des Grecs.
! D'abord , l ’extraordinaire simplicité des masses
des bâtimens égyptiens , leur perpétuelle monotonie
, l’esprit tout'-à-fait routinier de la nation
dans tous ses ouvrages, nous font regarder comme
aussi invraisemblable qu’elle eût été inutile, une
étude de rapports destinés à plaire beaucoup plus
encore à l’esprit qu’aux yeux. Ou sait qu’un temple
, dans son ensemble et dans ses parties , étoit
nécessairement assujetti aux types, qu’uue religion
ennemie de toute nouveauté avoit une fois consacrés.
On se persuade donc aisément qu’un pareil
édifice ne réclama ni le génie particulier de l’artiste
, ni ces essais multipliés dont il a besoin
pour découvrir les causes des impressions de l ’art
sur notre esprit. En Egypte , grandeur et solidité
furent les qualités que lar'religion. avoit permis à
I l’architecte d’exprimer; mais la -grandeur la
solidité peuvent exister sans aucun système de
proportions. Des colonnes massives , des plates-
bandes massives, des murs massifs , voilà toute
l’architecture égyptienne.
On y trouve, il est v ra i, des colonnes diversement
tuselées , et des chapiteaux variés, et même
très - diversifiés dans leurs formes ; niais on n’à
jamais remarqué qu’il se soit établi un rapport
nécessaire entre les formes ou les ornemens de tel
' chapiteau , et la conformation comme la décoration
dé telle colonne. On n’a jamais pu établir
qu’i l y ait eu un rapport constant entre la hau-
I leur de tel chapiteau, et celle de telle colonne , et
l’on voit un chapiteau à feuillages (par exemple)
i et à plusieurs étages, sur la même colonne, tau-
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tôt plus basse, tantôt plus élevée ou plus grêle ,
tantôt plus épaisse ou plus svelte. Une certaine
uniformité de mesure règne , il est v ra i, entre la ■
hauteur et la grosseur de quelques colonnes,
mais ces choses-là se rencontrent partout , et les
procédés les plus simples de la construction servent
à établir ce rapport. Il y eut certainement
en Egypte des mesures fixées pour tout, et Ion
faisoit un temple , une colonne , comme on faisoit
une statue, avec le compas : voilà tout; mais le
:-compas ou l’emploi simple et mécanique de cet
, instrument, ne donnent point ces rapports d’harmonie
, de goût et de beauté, sur lesquels repose
Y ordre par excellence..
Le trop d’uniformité et de servilité s’opposa ,
c a Egypte, à ce qu’il s’y établit un système de
proportions , résultat de 1 ordre y résultat dont la
propriété est de manifester l’intelligence qui le
I produit. Il y avoit des mesures générales, c’est-à-
ï dire, celles que le besoin et l’habitude fixent dans
' les produits routiniers de l ’industriè , entre leurs
parties principales ; mais ou n’y Connut pas ce
module régulateur , qui peut devenir la mesure
de tous les édifices, et qu’on peut trouver dans
chacune de leurs plus petites parties.
Si l’excès de simplicité et d’uniformité routinière
s’opposa, dans l’architecture égyptienne , à
la découverte d’ un système de rapports à la fois
fixes dans leurs principes , et variables dans leurs
applications, selon les différences de caractère
et d’idées que l’art veut exprimer , nous avons
vu à l'article G othique (voyez ce mot ) que le
genre de bâtissé auquel on donne ce nom , naquit,
■ par-nu sort contraire, de tant d’élémens hétérogènes,
et prit naissance dans des temps d’une
telle confusion , d’une telle ignorance, que l’extrême
diversité de formes, inspirées par le seul
caprice , empêcha tout vrai système de proportion
de s’introduire dans une architecture qui n’exprime
réellement à l ’esprit, par le mélange d’élé-
mens qui le constituent, que i’idée du désordre.
11 faut ici s’entendre sur les vraies notions que
comporte cette matière ; car beaucoup de peiv
sonnes se trompent dans les idées qu’elles se forment
de l'ordre et de la proportion én architecture.
Lorsqu’on entre dans un intérieur d’église
gothique, ou-est frappé de la disposition régulière
des piliers et des arcades dont elle se compose;
on y admire l’élancement de ses voûtes , la légè-
:; reie, et ce qu’on appelle la hardiesse de ses
masses; mais tous ces- mérites , quelle que soit
leur valeur, ne tienuenten rien au principe del’es-
: pece d ordre que nous disons être celui du système
| d une architecture. Beaucoup de choses dictées
Ipar le seul instinct peuvent produire des beau-
j tes dans cet a r t, et n’avoir poiut de proportions ,
| dans le sens qui 1 faut attacher à ce mot. Ainsi ,
-interrogez l’architecture gothique, demandez-luisi
ses piliers ont des rapports fixés entr’eux et 'entre
Ueurs parties. Elle vous répondra par les faits, que
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le même pilier pourra avoir en hauteur trois fois,
ou six fois , et encore plus sa grosseur ; que rien
de tout cela n’y est déterminé , de manière à être
-constant ni dans les édifices, ni même dans un
seul bâtiment, quelle que soit sa dimension. De-
mandez-lui si le chapiteau a un rapport de grandeur
, de forme et d’ornement avec sou pilier.
Elle vous répondra par les faits , que le seul caprice
ou le hasard en décide. Demandez-lui si
elle a des membres, des saillies, des details cor-
respondans à telle ou à telle disposition. Elle
vous diva que jamais elle ne s est inquiétée d’autres
rapports, que de ceux de la bâtisse et de
l’exécution ; eile vous montrera les supports les
plus écrasés à côté des fuseaux les plus élancés ;
elle vous fera voir des agvoupemens de petites
colonnes qui ne supportent rien-, et tantôt une
multitude de ces supports inutiles , tantôt des
masses en porte-à-faux ou sans supports. Si vous
lui demandez raison de ses extérieurs d’églises ,
elle ne vous répondra que par une confusion indigeste
de parties et de détails incoliérens , découpés
par le caprice le plus ignorant. Si elle fait des
élévations, elle ne leur proportionne jamais leur
soutien, et elle tire vanité d’une procérité qui
n’aspire qu’à paroitre un tour de force.
Il n’y a donc point un système de proportion
dans le gothique ; il n’y règne point un principe
à’ordre y qui permette de demander à chaque partie
, à chaque détail, à chaque ornement, la raison
qui les coordonne au tout, et avec d’autres
parties, d’autres détails, d’autres ornemens.
On croit qu’il est fort inutile de montrer qu’un
pareil esprit n’entra jamais dans l’architecture indienne
( voyez ce m o t) , produit d’un instinct
encore plus borné, et où le luxe d’ornemens les
plus désordonnés , prend la place des formes qui
pourvoient constituer une manière quelconque de
bâtir. Encore plus , sans doute, sera-t-on dispensé
de chercher la moindre indication du principe
d'ordre dont il s’agit i c i , dans les legèretes des
structures de la Chine , et chez un peuple où tout
a é té , de tout temps , réduit eu routine. Faisons
donc voir maintenant que le principe à'ordre que
nous n’avons pu trouver dans aucune des architectures
connues , non-seulement est lisiblement
écrit dans l’architecture grecque , mais ne peut-
3as ne point y être, puisque cette architecture
ui a dû , en quelque sorte, sa naissance.
En effet, il faut se souvenir ( nous n’en donnerons
pas ici les preuves (voyez les mots A rchite
c tu r e , Bois , C harpente , D orique , etc. ) que
l'architecture grecque, -telie que les tnonumens
nous la présentent , avec les développeinens et
les modifications qui.F ont fixée, et l ’ont rendue
applicable à tons les peuples , n’eut pas pour créateur
unique cet instinct qui partout apprit à tailler
et assembler des pierres. Elle seule eut, pendant
lès siècles qui l’ont formée, une espèce de
modèle et ce-modèle'étoit lui-même une com