
établir la plus grande séparation , entre l’ancien
Monde et le nouveau. Les chrétiens, après avoir
fait un entier divorce dans les pratiques de la vie,
avec les usages , les moeurs et les divertissemens
payens, voulurent que leurs corps, après la
mort, fussent placés sous la sauve-garde religieuse
des églises et des lieux saints.
Ainsi les églises devinrent insensiblement, dans
leurs souterrains et dans les emplacemens consacrés
qui les environnèrent, des lieux de sépulture
particulière et publique. Voyez au mot Mausolée ,
les développemens qu’on a donnés à cette théorie.
Il suffît à ce que nous venons de rapporter ici,
d’avoir montré une des causes principales, qui
firent supprimer ces nombreuses constructions
de sépulcres, ces édifices si multipliés, consacrés
à la sépulture des familles riches , des hommes
puissans ou célèbres, A peine trouve-t-on dans
l ’antiquité quelque exemple de corps enterrés
dans les temples, ou dans leurs enceintes, et ce
qu’on connoît de leur étendue comme de leur
disposition, prouveroit, indépendamment de toute
autre considération, que l’usage dont on parle n’au-
roitpas pu s’y introduire. La basilique chrétienne
destinée à être la réunion des fidèles , ce que signifie
, au moral comme au physique, le mot
églisej fut construite partout dans les plus grandes
dimensions. Les cérémonies funéraires y firent
partie du culte. Les souterrains qu’on y pratiqua,
formèrent des espèces de catacombes. L’autel,
presque toujours construit sur le corps de quelque
saint, reçut lui-même la forme de tombeau
ou de sarcophage. On ambitionna l’honneur d’être
enseveli près de l’autel, et les places des sépultures,
ainsi que des cénotaphes et des épitaphes,
furent réglées selon les rangs ou les fortunes, au
dedans des églises ou dans les terrains contigus.
Les églises recevant ainsi les dépouilles mortelles
des hommes de tout rang et de toute condition
, furent donc sous un certain rapport d’immenses
tombeaux.
Aussi ne voyons-nous presque plus bâtir de
monumens sépulcraux de quelqu’importance, encore
verrons-nous que ceux auxquels on pourroit
donner ce nom, ne furent plus que des dépendances
même des églises.
Ce que nous devons donc faire remarquer dans
ce changement, dès les premiers temps, et ce que
la suite nous montrera plus clairement encore,
c’est que l’architecture perdit presqu’entièrement
l’entreprise des tombeaux. Ce fut désormais la
sculpture qui-'en fit les frais, et commeqàdis elle
n’avoit joué dans le plus grand nombre de ces monumens
, que le rôle très-secondaire des accessoires
et des ornemens, il dut résulter du nouvel
ordre d’idées , que l’architecte fut réduit dans les
plus notables mausolées, à n’en faire que les ac-
compagnemens.
Mais rien, comme chacun le sait, ne fut d’abord
plus simple que l’oeuvre du statuaire, dans les an*-
ciens tombeaux du moyen âge. La religion sensuelle
des payens n’avoit environné la pensée
de la mort d’aucune image attristante. Le mot
propre qui l’exprime, fut même banni du langage
des nommes, qui sepiquoient de quelque délicatesse.
La mort avoit été si peu personnifiée par
l’art, ou l’avoit été d’une manière si peu sensible,
qu’on peut encore disputer aujourd’hui sur l’emblème
qui la représentoit. Tous les tombeaux
off Voient dans leurs intérieurs des ornemens, que
nous avons transportés dans les pièces les plus
agréables de nos maisons. Un sentiment tout contraire
domina le christianisme. La mort, ses terreurs,
ses suites redoutables, devinrent un des
plus actifs ressorts de la morale chrétienne. Ce
que son idée a de triste et d’humiliant, fut précisément
ce que la nouvelle religion se plut à opposer
à tous les pencbans sensuels, à tous les mou-
vemens de l’amour-propre.
Ainsi voyons-nous que tous les tombeaux ne
se composèrent que des figures des personnages
représentés morts, couchés les mains jointes,
et dans l’état même où on les avoit déposés dans
le cercueil. A l’article Mausolée (voyez ce mot),
nous avons fait voir à quel point, vers le quatorzième,
et surtout au quinzième siècle, l’art
plus développé avoit su embellir et perfectionner
ce type primitif des tombeaux chrétiens,
en y ajoutant des compositions d’accessoires
ingénieux, et en profitant de l’usage de
l’exposition du mort sur un lit de parade. Jusqu’à
cette époque on peut dire que les églises , leurs
abords, leurs cloîtres , ne ressembloient pas mal
à de grands cimetières. Lorsque l’on ne plaçoit
pas les figures des personnages morts en statues
couchées de ronde bosse, on établissoit sur le lieu
même où reposoient les corps, de grandes dalles
de pierre ou de marbre, faisant partie du pavement
général des églises , et tantôt on représentoit
le défunt, toujours dans la même position,
sculpté d’un relief extrêmement bas, tantôt on se
contentoit d’en tracer le simple contour, par un
trait en creux qu’on remplissoit de noir. Le plus
grand nombre de ces dalles étoit rempli par des
inscriptions ou épitaphes tracées de même en
creux. Ainsi l’on ne marchoit que sur des tombes,
et c’est de ce dernier mot {voyez T ombe) qu’on a
long-temps appelé les dalles funéraires dont on
parle. Aussi dut-il arriver au plus grand nombre,
d’être altérées et usées par le frottement des pieds,
au point que les traits des figures et des caractères
ont disparu.
Tel fut donc le type général des tombeaux,
jusqu’au moment où l’art sorti de la barbarie de
ces siècles d’ignorance, on en vint à représenter
les personnages vivans , mais toujours accompagnés
de l’idée ou des emblèmes de la mort. Ce fut
sur des sarcophages ou cercueils qu’on plaça leurs
statues, le plus souvent agenouillées, et dans
, l’action de la prière , quelquefois assises ou &
demi couchées. Peu à peu l’image ou l’idée'de la
mort cessa de se montrer dans ces ouvrages. Certains
excès contribuèrent à décrier ces sortes de
compositions. On en citeroit quelques-unes, où
l’artiste alla jusqu’à faire voir les corps dans l’état
révoltant de dissolution cadavéreuse. La personnification
de la mort sous la forme d’un squelette,
îoua aussi un grand rôle dans beaucoup de ces
conceptions tristement dramatiques, qu’une pensée
de Bernin au tombeau d’Alexandre VI à Saint-
Pierre, mit singulièrement en vogue.
Cependant la nouvelle église de Saint-Pierre
contribua, plus qu’on ne pense, à donner une direction
nouvelle aux compositions des tombeaux9
ou des mausolées modernes. La grande et majestueuse
ordonnance de ce temple, ne permit plus de
s’emparer indistinctement de tous les espaces, qui
auroient pu recevoir l’application des mausolées.
Ceux des souverains Pontifes qui y fuient exécutés,
occupèrent des emplacemens particuliers, qui,
sans déparer l’ensemble de l ’architecture , semblèrent
commander aussi à l’art du sculpteur des
compositions plus monumentales. En effet, les
tombeaux de Saint-Pierre sont généralement composés
dans un style, qui, sans sortir des convenances
prescrites par le lieu saint, pourroient
être considérés comme des monumens simplement
honorifiques. Si l’on excepte la forme du sarcophage,
au-dessus duquel s’élève la statue du pontife,
le plus souvent dans l’acte de bénir, tout le
reste consiste en figures allégoriques des vertus,
qui furent celles du personnage qu’elles accom-
| pagnent.
Décrire toutes les*idées et toutes les formes de
composition, que semble avoir épuisées le génie de
; la sculpture moderne, seroit l’objet d’un grand ouvrage,
dont nous avons donné l’abrégé à l’article
; Mausolée, auquel nous ne croyons devoir rien
ajouter ici, soit parce que le plan que nous suivons,
nous interdiroit de nouvelles recherches à cet
| égard, soit parce que, dans la vérité, elles seroient
plutôt du ressort de la sculpture, que de celui de
I l’architecture.
Ce n’est pas, comme nous Pavons déjà dit, que
I l’architecture se soit trouvée entièrement exclue
de toutes les entreprises , de ce que nous avons
appelé les mausolées modernes.
A l’époque , en effet, où l’exercice de tous les
arts du dessin se trouvoit, par un enseignement
commun à tous, facilement réuni chez un seul
artiste , on vit effectivement les compositions de
sculpture s’associer avec celles de l’architecture.
Avant le célèbre projet du tombeau de Jules II
par Michel Ange, plus d’un mausolée du quinzième
siècle pou voit faire douter, par la finesse des
détails , des ornemens et des profils de ses masses,
laquelle, de l’architecture ou de la sculpture,
avoit eu l’iuitiative delà composition générale.Il
y eut également dans l’ensemble projeté du monument
de Jules II, une sorte de partage entre les
deux arts. Sans doute il ne faut pas entendre ici
par architecture, ce que les grands édifices de
l’antiquité en ce genre nous ont fait voir. C’étoit
bien toujours pour le sculpteur que l’architecte
travailloit , et c’ étoit par conséquent dans de
petites dimensions. Cependant les tombeaux des
rois à Saint-Denis doivent une partie de leur valeur
, à l’ordonnance des plans et à l’élégance
des élévations , des formes et des compositions
d’ornemens qui entrent dans leur ensemble. Dans
plus d’une ville d’Italie, à Venise surtout, plus
d’un grand architecte, à la vérité sculpteur lui-
même , tel que Sansovino, orna des plus pures
ordonnances de colonnes , d’arcades et de frontispices,
certains mausolées , dans lesquels les deux
arts se disputent l’intérêt de la composition , et
l’admiration du spectateur.
L’architecture cependant n’a pas été toujours
entièrement déshéritée par la religion chrétienne,
de son ancien patrimoine en fait de construction
de tombeaux. Les églises, comme on l’a vu,
étant devenues des lieux de sépulture, naturellement
leur intérieur offrit au rang, ou à la fortune,
des places distinguées pour y déposer les tombes.
Entre ces places les plus favorables, et sans doute
les plus dispendieuses, furent les chapelles, dont
toutes les églises sont environnées. Les familles
riches firent l’acquisition de ces locaux pour servir
à leur sépulture. Là s’élevèrent les mausolées
, les tombes , le tables chargées d’épitaphes.
Ces monumens donnèrent souvent lieu à l’architecture,
de décorer les chapelles sépulcrales, d’une
! manière appropriée à leur destination.
Mais ce fut encore quelquefois sous le titre de
chapelley et comme annexes des églises, que
furent, dans les derniers siècles, construits d’assez
remarquables édifices , auxquels on auroit pu
donner le nom de sépulcres ou de tombeaux.
Telle avoit été comme dépendance de l’église de
Saint-Denis, la Chapelle sépulcrale des Valois,
bâtie par Philibert Delorme {voyez Delorme), et
aujourd’hui détruite.
On peut encore regarder comme chapelle sépulcrale
, l’ancienne sacristie de San Lorenzo,
bâtie par Michel-Ange à Florence , pour recevoir
les monumens qu’il y éleva à la mémoire de
Julien et de Laurent de Medicis.
Très-certainement l’antiquité auroit donné, et
avec admiration, le nom de sépulcre ou de mausoleum
, à la vaste et magnifique coupole, édifice
commencé pour être simplement une sacristie
nouvelle, ajoutée à la même église de San Lorenzo
, agrandi depuis et orné avec une extrême
dépense, pour être le tombeau des grands-ducs
de Toscane {voyez Nigetti) , dont on a rassemblé
là les monumens funéraires.
Peut-être convient-il de faire ici à l’architecture
des Modernes, honneur de quelques autres
constructions destinées aux funérailles , en tête
desquelles on ne sauroit s’empêcher de placer le