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jours une condition assez difficile à obtenir; celle
d’une alliance bien rare de deux sciences , de
deux talens chez le même homme, ou la réunion
plus rare encore de deux hommes , l’un savant,
érudit et versé dans les connoissances archéologiques
; l’autre artiste et dessinateur habile : car
c ’est autant par des dessins que par des notes,
quil faut interpréter et commenter Vitruve.
C’est là ce que Perrault avoit fait , et quoiqu’on
doive dire des planches et des dessins exécutés
à grands frais, dont il accompagna sa traduction
, qu’ils laissent beaucoup à desirer, il faut
toutefois beaucoup plus admirer ce qu’ils offrent
de v rai, de judicieux et d’applicable au texte,
que s’étonner de ce qui leur manque, surtout
quant au caractère , à la physionomie , au style
précis des monumens décrits, et que Perraultna-
voit pu counoître par lui-même*
11 falloit, sans doute, être déjà architecte, pour
faire, sur Vitruve, le travail auquel il se livra :
on peut croire cependant que ce grand ouvrage,
qui dut être le fruit de beaucoup d’années , aura
été ce qui fit de Perrault un architecte.
Naturellement de telles études durent le porter
à voir l’architecture en grand , à concevoir des
idées élevées, à s’occuper de cet a r t, sous les
rapports qu'il doit avoir avec les monumens , avec
la magnificence de la décoration, avec les qualités
qui constituent le caractère de chaque édifice.
Perrault n’étoit pas , dans le fa it, architecte de
profession ; il devoit passer plutôt pour théoricien
que pour artiste.
A cette époque Louis XIV, voulant éveiller
dans sa nation le génie de tous les arts, songe oit à s’illustrer par les plus hautes entreprises dans
l’art qui amène (pus les autres à sa suite, l’architecture
; il forma le projet, dirons-nous, de continuer,
de terminer, et ne dirons-nous pas plutôt
de refaire le Louvre, projeté trop en petit sous
Henri III , qui n’a voit conçu , par le plan de
Pierre Lescot , que le quart du projet actuel.
C’étoit, comme on l’a fait entendre , un amas de
masses discordantes dans leur proportion, leur
forme , leur disposition , résultat d’entreprises
partielles, et qui ne pouvoiént être subordonnées
à un raccordement régulier. •
Il falloit prendre un grand parti, il fallôit refondre
dans un plan nouveau et soumettre à un
dessin général, tout ce qui pouvoit se’ conserver;
et il ne s’agissoit pas seulement d’établir cette
uniformité dans l’intérieur d e là cour , il conve-
noit encore qu’une même ordonnance régnât à l’extérieur.
Rien n’a mieux prouvé que ce monument,
combien les grandes entreprises d’architecture
ont de peine à parvenir à se compléter. Après
trois siècles de travaux successifs , de projets , de
reprises , e t c ., le palais du Louvre, qu’il faut regarder
aujourd’hui comme terminé, a encore un
des côtés intérieurs de sa cour différent des trois
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autres, et de ses quatre faces extérieures, il n’en
est pas deux qui se ressemblent.
Il n’y avoit point alors d’architecte en crédit à
Paris, et il y avoit à Rome un artiste d’un talent
universeldont la renommée avoit porté le nom
dans toute l ’Europe, le célèbre Bernin {voyez à
l ’article B ern in) ; . le Roi le demanda, le reçut
avec beaucoup de distinction : on connoît le succès
qu’eût cette démarche.
Il n’est pas v ra i, comme on l’a prouvé à l ’article
B ernin , que le péristyle du Louvre par
Perrault eut existé en.réalité, quand Bernin vint
à Paris. A peine peul-on supposer que le projet
eût été connu de l’artiste italien ; mais ce qui pa-
roît constant, c’est que toutes les circonstances
contribuèrent à exciter l’ambition et le génie de
Perrault. Sollicité par son frère, il né put résister
au désir d’essayer ses forcés pur un sujet dans
lequel, libre des sujétions d un programme donné,
il put n’écouter que les inspirations de son goût.
Si Perrault eût été plus architecte de profession
qu’il ne l’étoit, s’il eût rapporté ses conceptions
aux besoins de son. temps , aux sujétions de son
pays, aux calculs pécuniaires, aux convenances
locales, et aux usagés d’un palais d’habitation, il
est probable qu’il n’eût jamais projeté son péristyle;
mais il vit son sujet eu homme habitué à
saisir ce qu’on peut appeler le côté poétique d’un
édifice. Le palais du grand Roi d’un grand empire
lui parut demander, comme un temple, ce
luxe extérieur de colonnes , de frontispices, qui
saisit l’admiration du spectateur, et le porte à se
former une grande idée du maître qui l’occupe.
Le péristyle du Louvre , tel surtout, qu’il sortit
des mains de Perrault (et avant qu’on y eût ouvert
les fenêtres qui aujourd’hui sont percées sous
la colonnade ) , n’est réellement qu’un modèle
idéal de poriaü, de devanture sans emploi usuél,
propre uniquement à annoncer la majesté du
prince et de sa cour.
Après le départ de Bernin, l’attention se reporta
sur le projet de Perrault. Pour mettre plus
de maturité dans cet examen, on forma un conseil
des bâtimens , composé du premier architecte,
de Lebrun et de Perraulty Charles Perrault
son frère en fut nommé secrétaire; Colbèrt
présidoit les séances, qui àvoiént lieu deux fois
la semaine. C’étoit une nouveauté que des colonnes
unies par des plates-bandes composées de claveaux,
et l’on craignoit la poussée des plafonds
sur les colonnes. Pour se rendre compte des
moyens d’exécution ,J il fut résolu de construire
en petit un modèle du péristyle , avec autant de
petites pierres qu’il devoit en entrer de grandes
dans l’édifice, et de les retenir avec des barres de
fer proportionnées à la mesure qu’elles auroient
en grand. L’exécution de ce modèle rassura sur
les difficultés qui avoient été le sujet de l’objection
principale. On se convainquit que le fer éih-
pfoyé à retenir la poussée des architraves, n’a-
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Voit pas , dans cet emploi , les inconvéniens
qu’il a lorsqu’on lui donne celui de soutenir.
^ ^’ouvrage enfin fut entrepris , et malgré ce
qu’on peut y reprocher, c’est toujours, il faut le
dire, une grande et magnifique conception.
Ajoutous qu’en le considérant sous le simple
rapport d’architecture , on doit à Perrault la justice
d’y avoir fait revivre avec une grande habileté
la justesse et la beauté des proportions antiques,
d y avoir poTté la pureté des profils, l’élégance
des formes et des ornemens , la correction
des détails , le fini de l’exécution, à ce point auquel
on ne sauroit dire qu’aucun grand édifice
soit arrivé depuis.
Nous ayons traité ailleurs ( voyez A c c o u p l e m
e n t ) des autres considérations, sous lesquelles
on peut ou louer, ou blâmer, ou excuser plus
d’un objet de celte composition, et nous renvoyons
le lecteur à cet article. Du reste , il seroit
à souhaiter que tout l’extérieur du Louvre ait été
achevé dans la disposition et selon l ’ordonnanc.e
de la façade de ce grand palais du côté de la
rivière. Il y régneroit entre toutes les parties un
accord qu’il faut aujourd’hui désespérer d’obtenir
jamais.
Perraultj auquel ses connoissances variées
avoient ouvert l’Académie, des sciences, devoit
naturellement devenir l’architecte d’un monument
que le Roi vouloit consacrer aux études astronomiques.
Il dut en faire les plans, et en régler
les dispositions sous la dictée de l’Académie.
Nous voulons parler de l’Observatoire, dont on a
d é jà donné la description. Voyez O b s e r v a t o ir e .
Il ne,nous reste ici à eu parier que sous le rapport
du talent de l'architecte, et du style ou
du caractère de l’architecture. Quant à ce qui
regarde la construction, on en a déjà vanté la
solidité, le bel appareil, et le.jsoin apporté dans
tçute les parties qui peuvent en assurer la durée.
Mais nous trouvons ( à l’article P e r r a u l t de la
Biographie universelle') une censure de ce monument
qui nous paroit injuste. On l’accuse d avoir
un slylelourd, et on parle de défauts qui frappent
tous les yeux. Celte critique étant une critique de
goût, nous, çroyons pouvoir en juger autrement.
, Si Perrault, comme on l’a d it, eut en architecture
un mérite, ce .fut certainement de saisir
dans la conception de ses ouvrages , ce tte qualité
qui repose sur l’idée poétique ou morale, que
l ’imagination donne à chaque édifice, et qui en
doit manifester la destination. C’est ce qu’on
appelle donner le caractère. C’est, ce qui fait
qu’un genre d’édifice ne doit pas ressembler à un
autre genre d’édifice ; de telle sorte que ce qui
sera propre, à l’un , deviendra impropre dans un
autre, et que ce qui seroit ici lourdeur, là doit
passer seulement pour simplicité et sévérité.
Qu’est-ce que Penuult se proposa dans le caractère
donné à son Observatoire r de bien prononcer
son emploi, en faisant,d’abord qu’on ne puisse
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pas le prendre pour un bâtiment d’habitation, en
faisant ensuite que l’on comprit, qu’il avoit pour
objet d’offrir aux observateurs une grande plateforme
dans son sommet. Toute apparence de
comble ou de toit eut donné le démenti à cet
i objet. Or, sans aucun doute, tout manque de cou-
I ronnement qui fait pyramider ua édifice, doit lui
donner une apparence qui est l’opposé de celle
! de la légèreté. S i, comme on n’en peut douter,
| cela contribue à donner à la masse de l ’Observatoire,
une apparence de lourdeur, ce prétendu
défaut nous paroît y être un mérite.
Nous avons déjà remarqué que les très-grandes
ouvertures dont l ’édifice est percé, conviennent
au moins pour l’apparence, seule chose dont il
s’agit i c i , à la destination positive d’un observatoire;
Nous ne pouvons qu’y louer encore la simplicité
de son extérieur, et il nous semble que
tout luxe de colonnes ou d’ordonnances y eût
été déplacé.
La gloire de Perrault, comme architecte, se
fonde encore sur un autre monument, où, certainement
il eût fait preuve de beaucoup d’imagination
, s’il lui eût été donné d’eu suivre et d’en régularise^;
l’exécution. On veut parler du grand arc de
triomphe élevé à Louis XIV, dont il nous a conr
servé le dessin, et dont il ne fit que jeter les
foudemens. Ce monument qui devoit orner l’entrée
de la grande rue du faubourg Saint-Antoine , fut
comme par manière d’essai, et apparemment pour
en faire mieux juger, ébauché en plâtre. 11 arriva
en cette occasion, ce qu’on a vu arriver plus
d’une fois. La curiosité satisfaite éteignit le zèle
des ordonnateurs. D’autres projets attirèrent ailleurs
les ressources de l’Etat; on travailla avec
moins d’ardeur, et bientôt on finit par abandonner
cette entreprise, par détruire même ce qui avoit
été déjà exécuté.
Ce fut sur les dessins de Perrault qu’on exécuta
la grotte de Versailles, l’allée d’eau, et plusieurs
ornemens des jardins. Il fit même un projet pour
substituer un nouveau bâtiment, au petit château
bâti par Louis XIII, que Louis XIV voulut absolument
conserver.
Perrault composa plusieurs ouvragés qui attestent
la variété de ses connoissances. Il publia
quaire volumes d’essais de physique, qui ont
aujourd’hui peu d’intérêt, et plusieurs mémoires
pour servir à l’histoire naturelle. Outre sa traduction
de Vitruve,. on a de lui un abrégé du
même auteur, pour l ’instruction des jeunes
architectes, ainsi qu’un traité de l’ordonnance des
colonnes. Enfin on trouva après sa mort, parmi
ses manuscrits, un recueil de machines imprimé
depuis, et qu’on peut consulter avec fruit.
On prétend que Perrault mourut des effets de
la putridité occasionnée par un chameau, à la
dissection duquel il assistait.
Indépendamment des hommages que l’Acadénrie
des sciences rendit à sa mémoire, la Faculté de