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établies, comme toutes les autres loix de la Nature, par
la volonté du Créateur ! La fureté avec laquelle on fup-
pofe que les animaux agiffent, la certitude de leur
détermination,. fuffiroit feule pour qu’on dut en con-
clurre que ce font les effets d’un pur méchanifme. Le
caraétère de la raifon le plus marqué, c ’eft le doute,
c ’eft la délibération, c’eft la comparaifon ; mais des
mouvemens & des aélions qui n’annoncent que la
décifion & la certitude, prouvent en même temps le
méchanifme & la flupidité.
Cependant, comme les loix de la Nature, telles que
nous les cpnnoifTons, n’en font que les effets généraux,
& que les faits dont il s’agit ne font au contraire que
des effets très-particuliers, il ferait peu philofophique
& peu digne de l’idée que nous devons avoir du Créateur
, de charger mal à propos fà volonté de tant de
petites loix, ce ferait déroger à fa toute-puiflànce & à
la noble fimplicité de la Nature que de Tembarrafler
gratuitement de cette quantité de ffatuts particuliers,
dont l’un ne ferait fait que pour les mouches, l’autre
pour les hiboux , l’autre pour les mulots, &c. ne doit-
on pas au contraire faire tous fes efforts pour ramener
ces effets particuliers aux effets généraux, &, fi cela
n’étoit pas poffible, mettre ces faits en réferve &
s’abftenir de vouloir les expliquer jufqu’à ce que, par
de nouveaux faits & par de nouvelles analogies, nous
puifftons en connoître les caufesî
Voyons donc en effet s’ils font inexplicables, s’ils
font
SUR LA NATURE DES ANIMAUX. 105
font fi merveilleux, s’ils font même avérés. La prévoyance
des fourmis n’étoit qu’un préjugé, on la leur
avoit accordée en les obfèrvant, on la leur a ôtée en
les obfèrvant mieux ; elles font engourdies tout l’hiver,
leurs provifions ne font donc que des amas fuperflus,
amas accumulés fans vues, fans connoiffance de l’avenir,
puifque par cette connoiffance même elles en auraient
prévu toute l’inutilité. N ’efl-il pas très-naturel que des
animaux qui ont une demeure fixe où ils font accoutumés
à tranfporter les nourritures dont ils ont actuellement
befbin, & qui flattent leur appétit, en tranfportent
beaucoup plus qu’il ne leur en faut, déterminés par le
fentiment fèul & par le plailir de l’odorat ou de quelques
autres de leurs fens, & guidés par l’habitude qu’ils
ont prife d’emporter leurs vivres pour les manger en
repos: cela même ne démontre-t-il pas qu’ils n’ont que
du fentiment & point de raifonnement! C ’eft par la
meme raifon que les abeilles ramaffent beaucoup plus
de cire & de miel qu’il ne leur en faut; ce n’eft donc
point du produit de leur intelligence, c ’eft des effets
de leur flupidité que nous profitons; car l’intelligence
les porterait néceflàirement à ne ramaffer qu’à peu près
autant qu elles ont befbin, & à s’épargner la peine de
tout le refte , fur-tout après la trille expérience que ce
travail eft ên pure perte, qu’on leur enlève tout ce'
qu’elles ont de trop, qu’enfin cette abondance eft la
feule caufe de la guerre qu’on leur fait, & la fource de
la défclation & du trouble de leur fociété. IJ eft fi vrai
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