car iis ne peuvent avoir aucune idée du temps, aucune
connoiflânce du paffé, aucune notion de l’ayenir : leur
confcience d’exiftence eft fimple, elle dépend uniquement
des fenfations qui les affeéient aduellement, &
confifte dans le fentiment intérieur que ces fenfations
produifent.
Ne pouvons-nous pas concevoir ce que e’eft que
cette confcience d’exiftenee dans les animaux, en faifant
réflexion fur l’état où nous nous trouvons lorfque nous
fommes fortement occupés d’un objet, ou violemment
agités par une paffion qui ne nous permet de faire
aucune réflexion fur nous-mêmes ! Dn exprime l’idée de
cet état en difant qu’on eft hors de fo i, & l’on eft en
effet hors de foi dès que l’on n’eft occupé que des
fenfations actuelles, & l ’on eft d’autant plus hors de
foi, que ces fenfations font plus vives, plus rapides,
& qu’elles donnent moins de temps à l’ame pour les
confidérer: dans cet état nous nous fentons, nous fen-
tons même le plaifir & la douleur dans toutes leurs
nuances; nous avons donc alors le fentiment, la confcience
de notre exiftence, fans que notre ame femble
y participer. Cet état, où nous ne nous trouvons que
par inftans, eft l’état habituel des animaux ; privés
d’idées & pourvus de fenfations, ils ne fàvent point
qu’ils exiftent» mais ils le fentent.
Pour rendre plus fenfible la différence que j ’établis
ici entre les fenfations & les idées, & pour démontrer
en même temps que les animaux ont des fenfations &
SUR LA NATURE DES ANIMAUX. 55
qu’ils n’ont point d’idées, confidérons en détail leurs
facultés & les nôtres, & comparons leurs opérations à
nos actions. Ils ont comme nous des fens, & par con-
féquent ils reçoivent les impreffions des objets extérieurs;
ils ont comme nous un fens intérieur, un organe
qui conferve les ébranlemens caufés par ces impreffions,
& par conféquent ils. ont des fenfations qui, comme
les nôtres, peuvent fe renouveler, & font plus ou moins
fortes & plus ou moins durables; cependant ils n’ont ni
l ’efprit, ni l’entendement, ni la mémoire comme nous
l ’avons , parce qu’ils n’ont pas la puiffance de comparer
leurs fenfations, & que ces trois facultés de notre ame
dépendent de cette puiffance.
Les animaux n’ont pas la mémoire! le contraire paraît
démontré, me dira-t-on; ne reconnoiffent-ils pas
après une abfence les perfonnes auprès defquelles ils ont
vécu, les lieux qu’ils ont habités, les chemins qu’ils
ont parcourus! ne fe fouviennent-ils pas des châtimens
qu’ils ont effuyés, des caraïbes qu’on leur a faites, des
leçons qu’on leur a données! Tout femble prouver
qu’en leur ôtant l’entendement & l’efprit, on ne peut
leur refufer la mémoire, & une mémoire aétive, étendue,
& peut-être plus fidèle que la nôtre. Cependant,
quelque grandes que foient ces apparences, & quelque
fort que foit. le préjugé qu’elles ont fait naître, je crois
qu’on peut démontrer qu’elles nous trompent, que les
animaux n’ont aucune connoiflânce du paffé, aucune idée
du temps, & que par conféquent ils n 'ont pas la mémoire.