encore plus relatif à l’appétit! qu’aucun des autres fens,'
on peut croire que l’animal a auffi ce fens plus fur &
peut-être plus exquis que l’homme: on pourrait le
prouver par la répugnance invincible que-les animaux ont
pour certains alimens, & par l’appétit naturel qui les
porte à choifir, fans fe tromper, ceux qui leur conviennent,
au lieu que l’homme, s’il n’étoit averti, mangerait
le fruit du mancenillier comme la pomme, & la ciguë
comme le perfil.
L ’excellence des fens vient de la nature, mais l’art
& l’habitude peuvent leur donner auffi un plus grand
degré de perfection ; il ne faut pour cela que les exercer
fouvent & long-temps fur les mêmes objets: un Peintre
accoutumé à confidérer attentivement les formes, verra
du premier coup d’ceii une infinité de nuances & de
différences qu’un autre homme ne pourra faifir qu’avec
beaucoup de temps, & que même il ne pourra peut-être
faifir. Un Muficien, dont l ’oreille eft continuellement
exercée à l ’harmonie , fera vivement choqué d’une
diffonance; une voix fàuffe, un fon aigre l’offenfera,
le bleffera; fon oreille eft un infiniment qu’un fon
difcordant démonte & delàccorde, L ’oeil du Peintre eft
un tableau où les nuances les plus légères font fentics,
où les traits les plus délicats font tracés. On perfectionne
auffi les fens, & même l’appétit des animaux ; on
apprend aux oifeaux à répéter des paroles & des chants;
on augmente l’ardeur d’un chien pour la çhaffe en lui
jfaifànt curée,
Mais
SUR LA NATURE DES ANIMAUX. 33
Mais cette excellence des fens & laperfeélion même
iqu’on peut leur donner, n’ont des effets bien fenfibles
que dans l ’animal ; il nous paraîtra d’autant plus aétif
& plus intelligent, que fes fens feront meilleurs ou plus
perfectionnés. L ’homme au contraire n’en eft pas plus
raifonnable, pas plus lpirituel, pour avoir beaucoup
exercé fon oreille & fes yeux. On ne voit pas que les
perfonnes qui ont les fens obtus, la vue courte, l’oreille
dure, l ’odorat détruit ou infenfihle, aient moins d’ef-
prit que les autres ; preuve évidente qu’il y a dans
l ’homme quelque chofe de plus qu’un fens intérieur
animal : celui-ci n’eft qu’un organe matériel, femblable
à l’organe des fens extérieurs, &. qui n’en diffère que
parce qu’il a la propriété de conferver les ébranlemens
qu’il a reçus : l’ame de l’homme au contraire eft un
fens fupérieur, une fubftance fpirituelle, entièrement
différente, par fon effenee & par fon action, de la nature
des fens extérieurs. ,
Ce n’eft pas qu’on puiffe nier pour cela qu’il y ait
dans l’homme un fens intérieur matériel, relatif, comme
dans l’animal, aux fens extérieurs, l’inlpeétion feule le
démontre: la conformité des organes dans l’un & dans
l ’autre, le cerveau qui eft dans l’homme comme dans
l ’animal, & qui même eft d’une plus grande étendue,
relativement au volume du corps, fuffifent pour affurer
dans l’homme l’exiftence de ce fens intérieur matériel.
Mais ce que je prétends, c ’eft que ce fens eft infiniment
fubordonné à l’autre ; la fubftance foirituelle le
Tome IV . JE