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idées n’entrent point dans les rêves, il paraît démontré
qu’ils ne peuvent être, ni une conféquence, ni un
effet, ni une preuve de la mémoire. Mais quand même
on voudrait foûtenir qu’il y a quelquefois des rêves
d’idées, quand on citerait pour le prouver les fomnam-
bules | les gens qui parlent en dormant & difent des
chofes fûmes, qui répondent à des queftions, &c. 8c
que l’on en inférerait que les idées ne font pas exclues
des rêves, du moins auffi abfolument que je le prétends,
il me fuffiroit, pour ce que j’avois a prouver, que le
renouvellement des fenfàtions puiffe les produire , car
dès-lors les animaux n’auront que des rêves de cette
efpèce, & ces rêves, bien loin de fuppofer la mémoire,
n’indiquent au contraire que la reminifoence materielle.
Cependant je fuis bien éloigné de croire que les
fomnambules, les gens qui parlent en dormant, qui
répondent à des queftions, 6cc. foient en effet occupes
d ’idées : 1’»me ne me paraît avoir aucune part à toutes
ces Ȏtions; car les fomnambules vont, viennent, agif-
fent fans réffexion, fans connoiffance de leur fituation,
ni du péril, ni des inconvéniens qui accompagnent leurs
démarches, les feules facultés animales font en exercice ,
& même elles n’y font pas toutes ; un fbmnambuie eft
dans cet état plus ftupide qu’un imbéciile, parce qu’il n’y
a qu’une partie de fes fens 6c de fbn fentiment qui foit
alors en exercice , au lieu que 1 imbecille difpofe de tous
fes fens, 6c jouit du fentiment dans toute fon étendue:
& à l’égard des gens qui parlent en dormant, je ne
crois
SUR LA NATURE DES ANIMAUX. 65
crois pas qu’ils difent rien de nouveau ; la réponfe à
certaines queftions triviales 6c ufitées, la répétition de
quelques phrafes communes, ne prouvent pas l’aétiorc
de l ’ame, tout cela peut s’opérer indépendamment du
principe de la connoiffance 6c de la penfée. Pourquoi
dans le fommeil ne parlerait-on pas fans penfer, puif-
qu’en s’examinant foi-même lorfqu’on eft le mieux
éveillé, on s’aperçoit, fur-topt dans les pallions, qu’on
dit tant de chofes fàns réflexion.'
A l ’égard de la caufe occafionnelle des rêves , qui
fait que les fenfàtions antérieures fe renouvellent fans
être excitées par les objets préfens ou par des fenfàtions
»étudies, on obfervera que l’on ne rêve point lorfque
fe fommeil eft profond, tout eft alors affoupi, on dort
en dehors 6c en dedans ; mais le fens intérieur s’endort
le dernier 6c fe réveille le premier, parce qu’il eft plus
vif, plus aétif, plus aifé à ébranler que les fens ex té -
rieurs; le fommeil eft dès-lors moins complet 6c moins
profond, c ’eft là le temps des fonges iifufoires ; les
fenfàtions antérieures, fùr-tout celles ftir lefquelles nous
n’avons pas réfléchi, fe renouvellent; le fens intérieur
ne pouvant être occupé par des fenfàtions aétuelles à
caufe de l’inaétion des fens externes, agit 6c s’exerce
fur fes fenfàtions paffées; les plus fortes font celles qu’il
faifit le plus fouvent, plus elles font fortes, plus les
fituations font exceflîves, 6c c ’eft par cette raifon que
prefque tous les rêves font effroyables ou charmans.
Il n’eft pas même néceffaire que les fens extérieurs
Tome IV . I