LE CHEVAL.
LA plus noble conquête que l’homme ait jamais faite
eft celle de ce fier & fougueux animal qui partage
avec lui les fatigues de la guerre & la gloire des combats;
auffi intrépide que fon maître, le cheval voit le
péril & l’affronte, il fe fait au bruit des armes, il l’aime,
ii le cherche & s’anime de la même ardeur; il partage
auffi fes plaifirs, à la chaffe, aux tournois, à la courfe, il
brille, il étincelle; mais docile autant que courageux,
il ne fe laiffe point emporter à fon feu, il fait réprimer
fes mouvemens, non feulement ii fléchit fous la main
de celui qui le guide, mais il femble confulter fes
defirs, & obéiffant toujours aux impreffions qu’il en
reçoit, il fe précipite, fe modère ou s’arrête, & n’agit
que pour y fatisfaire ; c ’eft une créature qui renonce à
fon être pour n’exifter que par la volonté d’un autre,
qui fait même la prévenir, qui par la promptitude & la
précifion de fes mouvemens l’exprime & l’exécute, qui
fent autant qu’on le defire, & ne rend qu’autant qu’on
veut, qui fe livrant fans réferve, ne fe refufe à rien,
fert de tontes fes forces, s’excède & même meurt pour
mieux obéir.
Voilà le cheval dont les talens font développés,
dont l’art a perfèélionné les qualités naturelles, qui dès
le premier âge a été foigné & enfuite exercé, dreffé au
fervice de l ’homme; c ’eft par la perte de fa liberté que
commence fon éducation, & c ’eft par la contrainte
qu’elle s’achève: l’efclavage ou la domefticité de ces
animaux eft même fi univerfelle, fi ancienne, que nous
ne les voyons que rarement dans leur état naturel, ils
font toujours couverts de harnois dans leurs travaux,
on ne les délivre jamais de tous leurs liens, même dans
les temps du repos, & fi on les laiffe quelquefois errer
en liberté dans les pâturages, ils y portent toujours les
marques de la fervitude, & fouvent les empreintes
cruelles du travail & de la douleur; la bouche eft déformée
par les plis que le mors a produits, les flancs font
entames par des plaies, ou fillonnés de cicatrices faites
par l’éperon ; la corne des pieds eft traverfée par des
clous, l’attitude du corps eft encore gênée par l ’im-
preflion fubfiftante des entraves habituelles, on les en
deiivreroit en vain, ils n’en feroient pas plus libres;
ceux même dont l’efclavage eft le plus doux, qu’on ne
nourrit, qu’on n’entretient que pour le luxe & la magnificence
, & dont les chaînes dorées fervent moins à
leur parure qu à la vanité de leur maître, font encore
plus deshonores par l’élégance de leur toupet, par les
treffes de leurs crins, par l’or & la foie dont on les.
couvre, que par les fers qui font fous leurs pieds.
La Nature eft plus belle que l’art, & dans un être
animé la liberté des mouvemens: fait la belle Nature:
Voyez ces chevaux qui fe font multipliés dans les contrées
de l ’Amérique Efpagnole, & qui y vivent en