392 H i s t o i r e N a t u r e l l e
regarde, on le juge, non pas en lui - même, mais
relativement au cheval ; on oublie qu’il eft âne, qu’il
a toutès les qualités de fa nature, tous les dons attachés
à fon efpèce, & on ne penfe qu’à la figure & aux
qualités du cheval, qui lui manquent, & qu’il ne doit
pas avoir.
Il eft de fon naturel auiïî humble, auiïï patient, auiïi
tranquille que le cheval eft fier, ardent, impétueux; il
fouffre avec confiance, & peut-être avec courage, les
châtimens & les coups; il eft fobre, & fur la quantité,
& fur la qualité de la nourriture ; il fe contente des
herbes les plus dures, les plus defagréables, que le
cheval & les autres animaux lui laiffent & dédaignent ;
il eft fort délicat fur l’eau, il ne veut boire que de la
plus claire & aux ruiffeaux qui lui font connus ; il boit
auiïi fobrement qu’il mange -, & n’enfonce point du tout
fon nez dans l’eau par la peur que lui fait, dit-on,
l’ombre de fes oreilles * : comme l’on ne prend pas la
peine de l’étriller, il fe roule fouvent fur le gazon,
fur les chardons, fur la fougère, & fans fe foucier
beaucoup de ce qu’on lui fait porter, il fe couche
pour fe rouler toutes les fois qu’il le peut, & femble
par-là reprocher à fon maître le peu de foin qu’on
prend de lui ; car il ne fe veautre pas comme le cheval
dans la fange & dans l’eau, il craint même de fe
mouiller les pieds, & fe détourne pour éviter la
boue; auffi a-t-il la jambe plus sèche & plus nette
* Voyez Cardan de fubtilkate, lib. x.
que
que le cheval; il eft fufceptible d’éducation, St l ’on
en a vu d’aflez bien drefiès * pour faire curiofité de
Ipeélacle.
Dans la première jeunefle il eft gai, & même aiïfez
joli, il a de la légèreté & de la gentilleffe, mais il la
perd bien-tôt, foit par l’âge, foit par les mauvais trai-
temens, & il devient lent, indocile & têtu; il n’eft
ardent que pour le plaifir, ou pluftôt il en eft furieux
au point que rien ne peut le retenir, & que l’on en
a vu s’excéder & mourir quelques inllans après; &
comme il aime avec une elpèce de fureur, il a auffi
pour fà progéniture le plus fort attachement. Pline nous
affiire que lorfqu’on fépare la mère de fon petit, elle
paffe à travers les flammes pour aller le rejoindre; il
s’attache auffi à fon maître, quoiqu’il en foit ordinairement
maltraité, il le fent de loin & le diftingue de
tous les autres hommes ; il reconnoît auiïi les lieux
qu’il a coutume d’habiter, les chemins qu’il a fréquentés;
il a les yeux bons, l ’odorat admirable, fiir-tout
pour les corpufcules de l’âneffe, l’oreille excellente,
ce qui a encore contribué à le faire mettre au nombre
des animaux timides, qui ont tous, à ce qu’on prétend,
l’ouïe très-fine & les oreilles longues: lorfqu’on
le furcharge, il le marque en inclinant -la tête St baif-
fint les oreilles; lorfqu’on le tourmente trop, il ouvre
la bouche & retire les lèvres d’une manière très-defi-
gréable, ce qui lui donne l ’air moqueur & dérifoire;
* Vide Aldrovand. de quadrup. folid ip ed. lib. I , pag. 308.
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