D ’ailleurs, e’eft à cet âge que naiffent les foucis &
que la vie eft la plus contentieufe ; car on a pris un
état, c ’eft- à-dire qu’on eft entrépar hafàrd ou par
choix dans une: carrière qu’il eft toujours honteux de
ne pas fournir, & fouvent très - dangereux de remplir
avec éclat. On marche donc péniblement entre deux
écueils également formidables, le mépris & la haine-,
on s’affoiblit par les efforts qu’on fait pour les éviter,
& l’on tombe dans le découragement car lorfqu’à force
d’avoir vécu & d’avoir reconnu, éprouvé les injuftices
des hommes, on a pris l ’habitude d’y compter comme
fur un mal néceflàire ; lorfqu’on s’eft enfin accoutume
à faire moins, de cas de leurs jugemens que de fon
repos, & que le coeur endurci par lies cicatrices mêmes
des coups qu’on lui a portés, eft devenu plus infenfible,
en arrive aifément à cet état d’indifférence, à cette
quiétude indolente, dont on aurait rougi quelques années-
auparavant. La gloire, ce puiffànt mobile de toutes les.
grandes âmes, & qu’on vôyoit de loin comme un but
éclatant qu’on s’efforçoit d’atteindre par des a étions
brillantes & des travaux utiles,, n’eft plus qu’un objet
fans, attraits pour ceux qui en ont approché, & un fantôme
vain & trompeur pour les autres qui font reftés
dans l’éloignement. La pareffe prend fàplace, & femble
offrir à tous des routes plus aifées & des biens plus
folides; mais le dégoût la précède & l’ennui la fuit,
l ’ennui, ce trifte tiran de, toutes les âmes qui penfent,
.contre lequel la fageffe peut moins que la folie.
C ’eft donc parce que la nature de l ’homme eft com-
pofée de deux principes oppofés, qu’il a tant de peine
à fe concilier avec lui-même ; c’eft de là que viennent
fbn inconftance, fbn irréfolution, fes ennuis.
Les animaux au contraire, dont Ja nature eft fimple
& purement matérielle , ne reffentent,. ni combats
intérieurs, ni oppofition, ni trouble; ils n’ont, ni nos
regrets, ni nos remords,, ni nos efpérances, ni nos
craintes.
Séparons de nous tout ce qui appartient à lame,’
ôtons-nous {’entendement, l’elprit & la mémoire, ce
qui nous reftera fera la partie matérielle par laquelle
nous fommes animaux, nous aurons encore des befbins-,
des fenfàtions, des appétits, nous aurons de la douleur
& du plaifir, nous aurons même des paffions; car une
paffion eft-elle autre chofè qu’une fènfàtion plus forte
que les autres, & qui fe renouvelle à tout inftant ! or
nos fenfàtions pourront Ce renouveler dans notre fens
intérieur matériel; nous aurons donc toutes les paffions,
du moins toutes les paffions aveugles que lame, ce
principe de la connoiffance, ne peut ni produire , ni
fomenter..
C ’eft ici le point fe plus difficile : comment pourrons
nous, fur-tout avec l’abus que l’on a fait des termes,
nous faire entendre & diftinguer nettement les paffions
qui n’appartiennent qu’à l’homme, de celles qui lui font
communes avec les animaux! eft-il certain, eft-il croyable
que les animaux puiffent avoir des paffions! n’eft-if pas