ordre fort différent de celui dans lequel nos fenfàtions
nous font anrivées; c’eft l’ordre de nos idées, c’eft-à-
dire, des comparaifons que notre ame a faites de nos
fenfàtions, que nous voyons, & point du tout l’ordre de
ces fenfàtions, & c ’eft en cela principalement que con-
fifte la différence des caraétères & des efprits; car de
deux hommes que nous fuppoferons femblablement
organifés, & qui auront été élevés enfemble & de la
même façon, l’un pourra penfer bien différemment de
l’autre, quoique tous deux aient reçu leurs fenfàtions
dans le même ordre; mais comme la trempe de leurs
âmes efl différente, & que chacune de ces âmes a comparé
& combiné ces fenfàtions femblables, d’une manière
qui lui eft propre & particulière, le réfultat général de
ces comparaifons, c’eft-à-dire, les idées, l ’efprit & le
caractère acquis, feront auffi différens.
Il y a quelques hommes dont l’aéfivité de l’ame eft
telle qu’ils ne reçoivent jamais deux fenfàtions fàns les
comparer & fàns en former par conféquent une idée;
ceux-ci font les plus fpirituels, & peuvent, fuivant les
circonftances, devenir les premiers des hommes en tout
genre. II y en a d’autres en affez grand nombre dont
l ’ame moins aélive laiffe échapper toutes les fenfàtions
qui n’ont pas un certain degré de force, & ne compare
que celles qui l’ébranlent fortement ; ceux-ci ont moins
d’efprit que les premiers, & d’autant moins que leur
ame fe porte moins fréquemment à comparer leurs fen-
iàtions & à en former des idées.; d’autres enfin, & c ’eft
la multitude, ont fi peu de vie dans l’ame; & une fi
grande indolence à penfer , qu’ils ne comparent & ne
combinent rien, rien au moins du premier coup d’oeil;
il leur faut des fenfàtions fortes & répétées mille &
mille fois, pour que leur ame vienne enfin à en comparer
quelqu’une & à former une idée: ces hommes
font plus ou moins ftupides, & femblent ne différer
des animaux que par ce petit nombre d’idées que leur
ame a tant de peine à produire.
La confcience de notre exiflence étant donc com-
pofée, non feulement de nos fenfàtions actuelles, mais
même de la fuite d’idées qu’a fait naître la comparaifon
•de nos fenfàtions & de nos exiftences palfées, il eft
évident que plus on a d’idées, & plus on eft fur de
fon exiftence; que plus on a d’efprit, plus on exifte;
qu’enfin c’eft par la puiflànce de réfléchir qu’a notre
ame, & par cette feule puiflànce, que nous femmes
certains de nos exiftences palfées & que nous voyons
nos exiftences futures, l’idée de l’avenir n’étant que la
comparaifon inverfe du préfent au paffé, puifque dans
cette vue de i’efprit le préfent eft paffé, & l’avenir eft
préfent.
Cette puiflànce de réfléchir ayant été refufée aux
animaux *, il eft donc certain qu’ils ne peuvent former
d’idées, & que par conféquent leur confcience d’exiftence
eft moins fure & moins étendue que la nôtre;:
* Voyez vol. i l de cette Hiftoire NatureHe, art. de la nature
de VHomme*
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