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font des êtres dont les réfultats & les opérations font
les mêmes à tous égards, parce que l’un n’a point
d’ame, & que l’antre ne s’en fert point;, tous deux
manquent de la puiffance de réfléchir, & n’ont par con-
féquent ni entendement, ni. efprit, ni mémoire, mais,
tous deux ont des. fenfàtions,. du fentiment. & du mouvement.
Cependant, me répétera-1-on toujours-, l’hommé
imbéciHe & l’animal n’agiffent-ils pas- fouvent comme
s’ils étoient déterminés par la connoiffance des chofes
paffées! ne reconnoiffent-ils pas les perfonnes avec lef-
quelles ils ont vécu, les. lieux qu’ils ont habités,. &c,
ces actions ne fiippofent-ellespas néceffairement la mémoire!
Sc cela ne prouverait-il pas au contraire qu’elle
n’émane point de la puiffance de réfléchir!
Si l’on a donné quelque attention à ce que je viens
de dire, on aura déjà fenti que je diflingue deux efpèces
de mémoire infiniment différentes l ’une de l’autre par
leur catrfe, & qui peuvent cependant fe reffembler en
quelque forte par leurs effets ; la première efl la trace
de nos idées, & la. fécondé, que j’appellerais volontiers
réminifcence pluflôt que mémoire, n’eft que. le renouvellement
de nos fenfàtions, ou pluflôt des éhranlemens
qui les ont caufées ; la première émane de l’ame, & ,
comme je l ’ai prouvé, elle efl pour nous bien plus parfaite
que fa fécondé; cette dernière au contraire n’efl
produite, que par le renouvellement des éhranlemens
du feus intérieur matériel,. & elle efl. la feule qu’on
SUR LA NATURE DES ANIMAUX. 61
puiffe accorder à l’animal ou à l’homme imhécille : leurs
fenfàtions antérieures' font renouvelées par les fen-
fations aéluelles, elles fe réveillent avec toutes les
circonftances qui les accompagnoient, l’image principale
& préfente appelle les images anciennes & accef-
foires, ils fentent comme ils ont fenti, ils agiffent donc
comme ils ont agi, ils voient enfèmhle le préfent &
le paffé, mais fans les diflinguer, fans les comparer, &
par confisquent fàns les connoître.
Une fécondé objeétion qu’on me fera fàns doute, &
qui n’eft cependant qu’une confequence de la première,
mais qu’on ne manquera pas de donner comme
une autre preuve de l’exiflence de la mémoire dans les
animaux , ce font leurs rêÿes. Il efl certain que les animaux
fe repréfentent dans le fommeil les. choies dont
ils ont été occupés pendant la veille ; les chiens jappent
fouvent en dormant,, & quoique cet aboiement foit
fourd & foible, on y reconnoît cependant la. voix de
Ja chaffe, les accens delà colère,;les fous du dçfir ou
du murmure ,; &c. on ne peut donc pas douter qu’ils
n’aient des chofes paffées un foiivenir très-vif „ très-aétif
& différent de celui dont nous venons de parler, puif-
qu’il fe renouvelle indépendamment d’aucune caufie
extérieure qui pourrait y être relative,.
Pour éclaircir cette difficulté & y répondre d’une
manière fàtisfaifànte, il faut examiner la nature de nos
fèves, & chercher s’ils viennent de notre, ame ou .s’ils
dépendent feulement de notre fens intérieur mÿtériei|,
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