continuellement. La contrainte, les remontrances, &
même les châtimens, ne font que de petits chagrins,
l’enfànt ne les raflent que comme on fent les douleurs
corporelles, le fond de fon exiftence n’en eft point
affeété, il reprend, dès qu’il eft en liberté, toute l’action
, toute la gaieté que lui donnent la vivacité & la
nouveauté de fes fenfàtions : s'il étoit entièrement livré
à lui-même, il ferait parfaitement heureux ; mais ce bonheur
céderait, il produirait même le malheur pour les
âgés fuivans; on eft donc obligé de contraindre l’enfànt,
il eft trille, mais néceflàire de le rendre malheureux
par inftans, puifque ces inftans même de malheur font
les germes de tout fon bonheur à venir.
Dans la jeunefle, lorfque le principe fpirituel commence
à entrer en exercice & qu’il pourrait déjà nous
conduire, il naît un nouveau fens.matériel qui prend un
empire abfolu, & commande fi impérieufement à toutes
nos facultés, que l’ame elle-même femble fe prêter avec
plaifir aux paffions impétueufes qu’il produit : lé principe
matériel domine donc encore, & peut-être avec
plus d’avantage que jamais ; car, non feulement il effacé
& foûmet la raifon, mais il la pervertit & s’en fert
comme d’un moyen de plus ; on ne penfe & on n’agit
que pour approuver & pour fàtisfaire là paftion : tant
que cette ivreffe dure, ou eft heureux, les contradictions
& les peines extérieures femblent refferrer encore l’unité
de l’intérieur, elles fortifient la paftion, elles en remplif-
fent les intervalles languiflàns, elles réveillent l ’orgueil,
& achèvent de tourner toutes nos vues vers le même
objet & toutes nos puiffances vers le même but.
Mais ce bonheur va paffer comme un fonge , le
charme difparoît, le dégoût fuit, un vuide affreux fiic-
cède à la plénitude des fentimens dont on étoit occupé.
L ’ame, au fortir de ce fommeil létargique, a peine à fe
reconnoître, elle a perdu par l ’efclavage l’habitude de
commander, elle n’en a plus la force, elle regrette même
la fervitude, & cherche un nouveau maître, un nouvel
objet de paftion qui difparoît bien-tôt à fon tour, pour
être fuivi d'un autre qui dure encore moins : ainfi les
excès & les dégoûts fe multiplient, les plaifirs fuient,
les organes s’ufent, le fens matériel, loin de pouvoir
commander, n’a plus la force d’obéir. Que refte-t-il à
l ’homme après une telle jeunefle ! un corps énervé, une
ame amollie, & l’impuiffance de fe fervir de tous deux.
Aufli a-t-on remarqué que c’eft dans le moyen âge
que les hommes font le plus fujets à ces langueurs de 1 ame, à cette maladie intérieure, à cet état de vapeurs
dont j ai parlé. On court encore à cet âge après les
plaifirs de la jeunefle, on les cherche par habitude &
non par befoin; & comme à mefure qu’on avance il
arrive toujours plus fréquemment qu’on fent moins le
plaifir que l’impuiflànce d’en jouir, on fe trouve contredit
par foi-même, humilié par fà propre foibîefle, fi
nettement & fi fouvent, qu’on ne peut s’empêcher de
fe blâmer, de condamner fes allions, & de fe reprocher
même fès defirs.
K ij