88 D i s c o u r s
de figure que le finge contrefait les geftes humains,
c ’efi par les rapports d’organifation que le ferin répète
des airs de mufique| & que le perroquet imite le figne
le moins équivoque de la penfée, la parole, qui met a
l’extérieur autant de différence entre l ’homme & l’homme
qu’entre l’homme & la bete, puifqu elle exprime
dans les uns la lumière & la fuperiorite de 1 efprit,
quelle ne lailfe apercevoir dans les autres qu’une con-
fufion d’idées obfcures ou empruntées, & que dans
l’imbécille ou le perroquet elle marque le dernier degré
de la ftupidité, c’eft-à-dire, l’impolfibilité où ils font
tous deux de produire intérieurement la penfée, quoiqu’il
ne leur manque aucun des organes néceflaires pour
la rendre au dehors.
Il eft aile de prouver encore mieux que 1 imitation
n’eft qu’un effet méchanique, un réfultat purement machinal
, dont la perfection dépend de la vivacité avec
laquelle le fens intérieur matériel reçoit les impreffions
des objets, & de la facilité de les rendre au dehors par
la fimilitude & la foupleffe des organes extérieurs. Les
gens qui ont les fens exquis, délicats, faciles à ébranler,
& les membres obéiffans, agiles & flexibles font, toutes
ehofes égales d’ailleurs, les meilleurs aéteurs, les meilleurs
pantomimes, les meilleurs finges: les enfans fans
y fonger prennent les habitudes du corps, empruntent
les geftes, imitent les manières de ceux avec qui ils
vivent; ils font aufti très-portés à répéter & à contrefaire.
La plufpart des jeunes gens l'es plus vifs & les
moins
SUR LA NATURE DES ANIMAUX. 89
moins penfàns, qui ne voient que parles yeux du corps,
fàififfent cependant merveilleufement le ridicule des
figures; toute forme bizarre les affeCte, toute repréfenta-
tion les frappe, toute nouveauté les émeut; l ’impreffion
en eft fi forte qu’ils repréfentent eux-mêmes, ils racontent
avec enthoufiafme, ils copient facilement & avec
grâce; ils ont donc fupérieurement le talent de l’imitation,
qui fuppofe l’organifation la plus parfaite, les
difpofitions du corps les plus heureufes, & auquel rien
n’eft plus oppofé qu’une forte dofè de bon fens.
Ainfi parmi les hommes ce font ordinairement ceux
qui réfléchiffent le moins qui ont le plus ce talent de
l’imitation ; il n’eft donc pas flirprenant qu’on le trouve
dans les animaux qui ne réfléchiffent point du tout, ils
doivent même l’avoir à. un plus haut degré de perfection,
parce qu’ils n’ont rien qui s’y oppofe, parce qu’ils
n’ont aucun principe par lequel ils puiffent avoir la
volonté d’être différens les uns des autres. C ’eft par
notre, ame que nous différons entre nous , c ’eft par
notre ame que nous fommes nous, c ’eft d’elle que
vient la diverflté de nos caractères & la variété de nos
aétions: les animaux, au contraire, qui n’ont point d’ame,
n ont point le moi qui eft le principe de la différence,
la caufe qui conftitue la perfonne ; ifs doivent donc,
lorfqu’ils fe reffemblent par l’organifation ou qu’ils font
de la même efpèce,fe copier tous, faire tous les mêmes
ehofes & de la même façon, s’imiter en un mot beaucoup
plus parfaitement que les hommes ne peuvent
Tome IV . M