dans leurs choix, leurs defirs font toujours proportionnés
à la puilfance de jouir, ils fentent autant qu’ils jouilfent,'
& ne jouilfent qu’autant qu’ils fentent; l’homme au
contraire, en voulant inventer des plaifirs, n’a fait que
gâter la Nature, en voulant fe forcer lùr le fentiment il
ne lait qu’abufer de fon être, & creufer dans fon coeur
un vuide que rien enfuite n’eft capable de remplir.
Tout ce qu’il y a de bon dans l ’amour appartient
donc aux animaux tout aulfi-bien qu’à nous, & même,’
comme 11 ce fentiment ne pouvoit jamais être pur, ils
paroilfent avoir une petite portion de ce qu’il y a de
moins bon, je veux parler de la jaloufie. Chez nous
cette paffion fuppofe toujours quelque défiance de foi-
même, quelque connoiflànce lourde de là propre foi-
blelfe; les animaux au contraire femblent être d’autant
plus jaloux qu’ils ont plus de force, plus d’ardeur &
plus d’habitude auplaifir, c’elt que notre jaloufie dépend
de nos idées, & la leur du fentiment: ils ont joui, ils
défirent de jouir encore, ils s’en fentent la force, ils
écartent donc tous ceux qui veulent occuper leur place,’
leur jaloufie n’ell point réfléchie, ils ne la tournent pas
contre l’objet de leur amour, ils ne font jaloux que de
leurs plaifirs.
Mais les animaux font-ils bornés aux feules pallions
que nous venons de décrire! la peur, la colère, l ’horreur,
l’amour & la jaloufie font-elles les feules affeétions
durables qu’ils puilfent éprouver ! Il me femble qu’indé-
pendamment de ces pallions, dont le fentiment naturel
ou pluftôt l’expérience du fentiment rend les animaux
fufceptibles, ils ont encore des palfions qui leur font
communiquées, & qui viennent de l’éducation, de
l ’exemple, de l’imitation & de l’habitude : ils ont leur
efpèce d’amitié, leur efpèce d’orgueil , leur efpèce
d’ambition ; & quoiqu’on puiffe déjà s’être alfuré, par ce
que nous avons dit, que dans toutes leurs opérations &
dans tous les aétes qui émanent de leurs palfions il n’entre
ni réflexion, ni penfée, ni même aucune idee, cependant
comme les habitudes dont nous parlons font celles
qui femblent le plus fuppofer quelque degré d’intelligence,
& que c’elt ici où la nuance entr’eux & nous eft
la plus délicate & la plus difficile à làifir, ce doit être aulfi
celle que nous devons examiner avec le plus de foin.
Y a-t-il rien de comparable à l’attachement du chien
pour la perfonne de fon maître! on en a vu mourir fiffi
le tombeau qui la renfermoit; mais ( lâns vouloir citer
les prodiges ni les héros d’aucun genre ) quelle fidélité
à accompagner, quelle confiance à fiiivre, quelle attention
à défendre fon maître ! quel empreiïement à rechercher
lès careflès ! quelle docilité à lui obéir ! quelle
patience à foufîfir là mauvaife humeur & des châtimens
fouvent injuftes ! quelle douceur & quelle humilité pour
tâcher de rentrer en grâce ! que dé mouvemens, que
d’inquiétudes, que de chagrin s’il efl abfent! que de
joie lorfqu’il fe retrouve! à tous ces traits peut-on
méconnoître l ’amitié! fe marque - 1- elle même parmi
nous par des caractères aulfi énergiques!