c ’eft-à-dire, pour ne pouvoir plus produire avec ceux
auxquels ils étoient femblables, mais encore dégénéré
tous deux précifément au même point, & à ce point
néceflàire pour ne pouvoir produire qu’enfemble! ôc
enfuite quelle autre prodigieufe immenfité de combi-
naifons ne faudrait-il pas encore pour que cette
nouvelle produétion de ces deux animaux dégénérés
fuivît exaétement-les mêmes loix qui s’obfervent dans la
produétion des animaux parfaits ! car un animal dégénéré
efl lui-même une produétion viciée; & comment fc
pourroit-il qu’une origine viciée, qu’une dépravation,
une négation, pût faire fouche, & non feulement produire
une fucceffion d’êtres conftans, mais même les
produire de la même façon & fuivant les mêmes loix
que fe reproduifent en effet les animaux dont l ’origine
eft pure!
Quoiqu’on ne puiffe donc pas démontrer que la
produétion d’une efpèce par la dégénération, foit une
cbofe impoffible à la Nature, le nombre des probabilités
contraires eft fi énorme, que philofophiquement
même on n’en peut guère douter ; car fi quelque
efpèce a été produite par la dégénération d’une autre,
fi l ’efpèce de l’âne vient de l’efpèce du cheval, cela n’a
pu fe faire que fucceffivement & par nuances, il y aurait
eu entre le cheval & l’âne un grand nombre d’animaux
intermédiaires, dont les premiers fe feraient peu à
peu éloignés de la nature du cheval, & les derniers
fe feraient approchés peu à peu de celle de l ’âne; &
pourquoi ne verrions-nous pas aujourd’hui les repré-
fentans, les defcendans de ces efpèces intermédiaires !
pourquoi n’en eft-il demeuré que les deux extrêmes!
L ’âne eft donc un âne, & n’eft point un cheval
dégénéré, un cheval à queue nue; il n’eft, ni étranger,
ni intrus, ni bâtard; il a, comme tous les autres arri-
maux, fa famille, fon efpèce & fon rang ; fon fang eft
pur, & quoique fa nobleffe foit moins illuftre, elle eft
toute auffi bonne, toute auffi ancienne que celle du
cheval; pourquoi donc tant de mépris pour cet animal,
fi bon, fi patient, fi fobre, fr utile! Les hommes mé-
priferoient-ils jufque dans les animaux, ceux qui les
fervent trop bien & à trop peu de frais! On donne au
cheval de l’éducation, on le foigne, on l’inflruit, on
l’exerce, tandis que l’âne, abandonné à la groffièreté
du dernier des valets, ou à la malice des eufans, bien
loin d’acquérir, ne peut que perdre par fon éducation;
& s’il n’avoit pas un grand fonds de bonnes qualités,
il les perdrait en effet par la manière dont on le traite:
il eft le jouet, le plaftron, le bardeau des ruflrcs qui
le conduifent le bâton à la main », qui le frappent, le
furchargent, l’excèdent, fans précaution, fans ménagement;
on ne fait pas attention que l’âne ferait par
lui-même, & pour nous, le premier, le plus beau, le
mieux fait, le plus diftingué des animaux, fi dans le
monde il n’y avoit point de cheval; il eft le fécond au
lieu d’être le premier, & par cela feul il femble n’etre
plus rien : c ’eft la comparai fon qui le dégrade ; on le