Ce coup de tête parut inexécutable à quelques
uns de mes compagnons. D’abord, se
présenteroit-il une occasion favorable? ensuite
tous les matelots n’étaient pas d’avis de
préférer la mort à la captivité. Dans notre
position nous ne pouvions leur rien ordonner;
un autre moyen de fuite nous étoit offert par
les Kouriles qui haïssoient les Japonois. Plusieurs,
quand ces derniers n’y prenoient pas
garde, faisoient entendre par signes à nos
matelots qu’ils n’avoient qu’à ôter leurs liens
et s’enfuir dans les forêts : niais les Kouriles
offroient-ils de nous aider, ou bien devions-
nous nous délier nous mêmes? c’est ce qu’il
nous étoit impossible de comprendre. Nous ne
pouvions nous faire entendre de ces gens que
par l’intermédiaire d’Alexis;et,craignant quelr
que perfidie, nous ne voulions pas lui découvrir
nos projets. En effet , à en juger par
ce qu.’il racontait des mauvais traitemens que
les chasseurs russes faisoient éprouver à ses
compatriotes, on pouvoit conclure qu’il étoit
plus enclin pour les Japonois que pour
notre nation. Nous nous bornâmes donc à
raisonner de tous ces projets, et nous attendîmes
une occasion favorable.
Cependant les Japonois commençoient à
nous traiter avec une bonté toujours croissante.
Ayant appris d’Alexis que le dessin
qui se troüvoit dans le petiCbaril exposé à lâ
mer étoit de M. Moor , ils prièrent ce dernier*
de leur dessiner un bâtiment russe. M. Moor
crut qu’il en seroit quitte avec un dessin ; il
s’appliqua donc à le bien faire, ce qui lui fit
obtenir d’avoir les liens de ses bras serrés
moins fortement ; mais, ce morceau terminé,
chaque Japonois voulut avoir son navire.
Ces nombreuses demandes ayant commencé
à lui être à charge, M. Chlebnikoff l’aida.
Quant à moi qui ne savois pas dessiner, il
fallut que j ’écrivisse quelque chose sur les
éventails des Japonois. Us ne cessoient de nous
importuner de ces sortes de demandes, tant
pour eux qjue pour leurs connoissances. Quelques
uns nous apportèrent à la fois .dix
éventails et plus; nous priant d’y inscrire
l’alphabet russe, ou celui du Japon avec les
caractères russes; nos chiffres de compte , nos
noms, un cou plet de chanson ; enfin, une chose
quelconque. Ils s’aperçurent bientôt que
MM.Moor çtChlebnikoffécri voient mieux que
moi; c’était donc toujours à eux qu’ils s’adres*
soient. Us ne venoient à moi que lorsque
ces deux officiers étaient occupés. Us firent