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l ’île. Je lui fis répandre que nous cherchions
un havre sur pour y faire de l’eau et du bois
dont nous avions le plus grand besoin, et que,
dès que nous nous serions approvisionnés,
nous nous éloignerions à l ’instant de lefirs
cotes (1) ; j ’ajoutai qu’ils n’avoient rien à
craindre de nous, puisque notre bâtiment
étoit à l ’empereur, et non un navire de commerce;
enfin, que nous n’étions nullement
venus pour leur faire du tort. Après avoir
écouté ma réponse avec la plus grande attention
, le commandant répliqua en ces termes
: « Les Japonois ne peuvent voir sans
crainte l’arrivée d’un bâtiment russe ; car il n ’y
a que peu d’années que des vaisseaux de cette
nation ont deux fois attaqué des villages japonois,
et ont enlevé ou brûlé tout ce qui s’y trou-
voit* sans épargner les temples, les maisons, ni
(1) Je choisis exprès ce motif, afin de pouvoir faire
tout le tour de l’île et l ’examiner dans le plus grand
détail, sous le prétexte de chercher un mouillage sûr-
I l étoit d’ailleurs impossible de confier aux Japonois la
véritable raison de notre arrivée chez eux. Une nation
comme celle-là n’auroit pas pu comprendre ce qui pou-
voit engager un gouvernement étranger à expédier, par
pure curiosité, et sans aucune vue secondaire, des
bâtimens pour examiner des terres éloignées. Notre aveu
nous auroit immanquablement rendus suspects.
les subsistances. Le riz, notre unique et principale
nourriture, est envoyé du Japon dansles
îles plus au nord. Une invasion eut lieu vers
la fin de 1 automne j nos bâtimens ne purent
plus mettre en mer, afin d’aller chercher des
provisions pour l ’hiver; l ’autre attaque se fit
au printemps , avant que les navires chargés
d’approvisionnemens fussent arrivés ; en
outre, les habitations avoient été brûlées; les
Japonois avoient beaucoup souffert de la faim
et du froid, et plusieurs avoient succombé à
leurs maux. »
Se justifier contre une accusation aussi
giave, avec d aussi mauvaisinterprètes que
nos Kouriles, etoit une tache extrêmement
difficile; je m’efforçai néanmoins de leur faire
bien comprendre toutes mes pensées, et je
leur recommandai de tâcher de rendre mes
expressions aussi exactement qu’il seroit pos-
sihle. Je demandai au commandant combien
son souverain enverroit de vaisseaux et
de soldats dans le cas où il voudroit déclarer
la guerre à une nation quelconque? « Je n’en
sais rien ,, répondit-il. »— « Cinq ou six vaisseaux,
continuai-je? »— «Non, non, reprit-
il en riant, il en enverroit un très-grand
nombre. » — « Comment donc, dis-je alors,
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