rées. Je le saluai à l ’européenne, il me répondit
en portant la main gauche au front et
en penchant en avant la tête et tout le corps;
ensuite notre conversation commença. Je
m’excusai sur la nécessite urgente qui m’a voit
contraint à leur causer tant d’embarras. De
son côté, le Japonois regretta que, dans l ’igno-
rance où il étoit du motif de notre v en u e , on
eut tiré sur nous, et demanda pourquoi, à
notre entrée dans le port, nous n’avions pas
dépêché un canot à la rencontre de celui que
l ’on avoit envoyé du fort vers nous ; ce qui
eût évité ces désagrémens. Je l ’assurai que
nous n’avions pas aperçu de canot, ce dont
vraisemblablement l’obscurité avoit été cause.
Je remarquai, au reste, qu’il cherchoit à excuser
sa conduite et ne disoit pas la vérité ;
car, à notre arrivée dans le port, rien ne
nous avoit empêchés de voir tout autour de
nous très-distinctement , et certainement un
canot, ni même un oiseau, n’eût pu échapper
à nos regards. Il s’informa si j ’étois le capitaine
du bâtiment, ou s ij’avois quelqu’un au-
dessus.de moi, et répéta cette question plusieurs
fois. Il demanda aussi où nous allions,
pourquoi nous étions abordés sur leurs cotes,
et où nous comptions faire voile en quittant
ce port? Afin de n’éveiller chez lui ni craintes
ni soupçons en lui avouant la vérité sur le
but de notre navigation dans cet archipel, je
lui dis que, partis de l’extrémité orientale de
notre empire, nousretournions à Saint-Pétersbourg;
que la continuité des vents contraires
avoit retardé notre voyage; que nous avions
eu besoin d’eau et dé bois, et que nous avions
voulu nous en pourvoir dans un lieu abrité.
«Le hasard, ajoutai-je, nous a fait rencontrer
« sur l’île d’Itouroup une garnison japonoise,
« dont le chef nous a remis une lettre
« pour Ourbitsch. Je vais l ’envoyer chercher
» à bord de la corvette. Yoilà pourquoi nous
cc sommes venus ici; nous allons à présent
cc nous rendre directement à Canton pour y
cc prendre encore quelques objets. » Le Japonois
observa qu’a Itouroup nous avions annoncé
que nous étions venuspour commercer,
et qu’ici nous parlions tout différemment,
cc Si l’on vous a fait un rapport semblable, lu i
cc répliquai-je, il faut l’attribuer à un mal-
cc entendu des Kouriles qui ne. parlent pas
cc trop bien le russe, et qui, dans leur langue,
cc n’ont pas d’expression pour les mots argent
cc monnoyè et acheter,, et rendent ces deux
c< expressions par celles d'échanger ou de
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