et je demandai à mon tour aux Japonois
comment ils pouvoient nous martyriser de
questions aussi futiles, et à quoi elles ser-
voient, puisque ni mes domestiques ni mes
effets n’étoient avec moi. Le gouverneur repartit,
avec la plus grande bonté, que nous ne
devions pas nous fâcher de leur curiosité;
qu’ils ne vôuloient pas nous arracher des réponses,
qu’ils ne nous interrogeoient que
comme leurs amis^ Cette politesse nous adoucit
et nous fit regretter d’avoir répondu si dure-
irient. Le bounio nous adressa ensuite une
question concernant notre affaire,puis revint
à celles qui ne signifioient r ien , et nous impatienta
de nouveau. Nous nous fâchions et
nous raccommodions ainsi souvent trois à . /
quatre fois le jour.
Comme quelqu’un pourroit être curieux
de savoir tout ce que les Japonois nous dè-
mandoient et ce qu’il nous en coûtoit pour
leur expliquer les différens objets quiavoient
excité leur curiosité, je vais joindre à mon
récit quelques-unes de leurs questions, en
prévenant que ce n’en est pas la centième
partie. On doit, d’ailleurs, se rappeler que
nous étions obligés de répondre par l’intermédiaire
d’un Kourile à demi-sauvage, qui
n’avoit aucune notion de beaucoup de choses
dônt nous parlions, et qui, pour Un grand
nombre de mots, ne trouvait pas d’expressions
dans sa langue. Les questions des Japonois
se suiyoient sans aucun ordre, comme
on va le voir :
Comment l’empereur de Russie est-il vêtu?
— Avec quoi couvre-t-il sa tête (i)?-—Quels
oiseaux se trouvent dans le .voisinage de St.-
Pëtersbourg ?-‘-Combien coûtent, en Russie,
les habits que vous portez actuellement?—
Çombièn y a-t-il de canons au palais de l’empereur
(2)?— Quelle laine emploie-t-on en
Europe pour fabriquer le drap (3) 7— Quels
sont les quadrupèdes, les oiseaux et lespois-
(1) Quand ils surent que M. Moor dessinoit bien , ils
le prièrent de représenter sur le papier le chapeau de
l ’empereur de Russie.
(2) Ils ne voulurent pas d’abord nous croire lorsque
nous leur dîmes que les monarques européens ne forti-
fioient pas leurs palais et ne les enlouroient pas de canons;
ensuite ils s’étonnèrent beaucoup de celte imprudence,
comme ils l ’appeloient.
(3) On leur nomma la laine de mouton; il fallut que
M. Moor leur dessinât une brebis et un bélier : ce fut
ensuite la même chose pour 1er ânes, les chevaux, les
voitures, les traîneaux, etc. En un mot, ils vouloient
qu’il représentât sur le papier tout ce qu’ils ne pouvoient