m’emportèren t à l’instant. Déjà nous pensions
qu’ils voûtaient nous séparer pour toujours,
et que peut-être nous nous voyions pour la
dernière fois dans cette vie ; nous nous dîmes
donc adieu, les larmes.aux y e u x , comme
des gens près de mourir. L ’adieu des matelots
me déchira le coeur : ils sanglottoient
tout haut. On me porta sur le rivage, et l’on
me déposa sur une natte dans un grand bateau.
Quelques minutes après, l ’on, apporta
de la même manière M. Moor, e t on le mit
près de moi dans le bateau. Je m’y attendois
si peu, que je m’en réjouis cordialement, et
que , pendant quelque temps, j’en éprouvai
un certain adoucissement à mes souffrances.
M, Chlebnikoff et les matelots Simanoff et
Vàssilieff furent ensuite placés avec nous;
lés trois autres furent embarqués dans un
bateau séparé. Entre chacun de nous se posa
un soldat arme. On nous couvrit de nattes,
et l ’on s’éloigna de terre. Où allions-nous ? 4
Les Japonois étoient assis sans dire un mot
et sans donner la moindre attention à nos
plaintes. Il n’y eut qu’un jeune homme d’environ
vingt ans qui parlait kourile et qui
nous avoit servi d’interprète, leq u e l, en ramant,
ne cessa pas de chanter ni de se moquer
( 107 )
de nous. Il imitait notre vo ix plaintive,
quand, tourmentés par les peines du corps
et de l’esprit, nous invoquions le Tout-Puis-
, sant, ou bien nous faisions entendre nos lamentations.
Le 13 juille t, au point du jour , nous débarquâmes
près d’un petit village sur la côte
de l’île de Matsmaï. On nous transporta aussitôt
dans d’autres bateaux que l ’on bal a le
long de la côte, en suivant la direction du
sud-est. Nous voyageâmes ainsi tout le jour
et une partie de la nuit. On ne s’arrêtait
qu’aux endroits fixés pour changer les hommes
chargés de haler les bateaux ; on les tiroit
dés villages voisins. Toute la côte est en
quelque sorte parsemée de maisons de tous
les genres. A chaque troisième ou quatrième
verste, nous rencontrions un village bien
peuplé où. la pêche est toujours abondante.
Les établissemens des Japonois pour cette
branche d’industrie sont uniques dans leur
espèce. Nous passions souvent devant ces
pêcheries à l’instant où l’on retirait de l’eau
d’énormes filets remplis d’une innombrable
quantité de poissons (1). Les meilleurs ap-
( Q Les Japonois Jettent ordinairement leurs grands
filets à une distance de cent à cent cinquante pieds et