moi. Ils ne m’adressaient pas le moindre ve~
proche sur ma confiance imprudente pour les
Japonois ;îls cherchèrent, au contraire, à me
tranquilliser et même à me défendre, quand
quelques-uns des matelots comnïençoieiit à
murmurer et a imputer leur malheur à mon
imprévoyance. J'avoue que je ne me trouvai
point offense de ces reproches. Ces hom mes
a voient certainement raison , et d’ailleurs
ils exprimaient leur chagrin avec tant de
modération, sans se permettre aucune injure
contre moi, que leurs plaintes m’en
etoient d’autant plus sensibles. Notre position
nous avoit tous rendus égaux. L ’espérance
de retourner en Russie avoit disparu ;
des hommes vulgaires, animés de sentirnens
différens et prévenus contré moi, eussent
donc pu donner un libre cours à leur langue,
et se venger sur moi de leur malheur, au
moins par des injures; mais nos matelots
étoient bien loin de là.
Malgré les douleurs extraordinaires et
presque insupportables que mes liens me
causoient aux mains et jusque dans lès os ,
mes peines intérieures me les firent toutes
oublier pendant quelque temps, et m’empêchèrent
de rien sentir; mais Je moindre
mouvement même de la tête m’occasionnoit
dans tout le corps des souffrances intolérables;
PI us de cent fois jèdemandois la mort à Dieu,
comme le plus grand bienfait.
Cependant on apportait sans cesse à notre
principal conducteur des billets qu’il com-
muniquoil à ses gens après les avoir lus Iis
parlaient si bas entre eux et avec tant de
modération que nous crûmes qu’ils avoient
peur dè nous, quoique nous ne comprissions
pas un seul mot de japonois. Je priai donc
Alexis de prêter l’oreille à leur conversation
pour nous en- rendre quelque chose. Il nous
dit qde ces billets étaient envoyés du fo r t,
qu’il y étoit question de la corvette et des
Russes; e’étoit tout ce qu’il avoit pu comprendre.
Nous renonçamas alors à l ’espérance
d’apprendre quelque chdsè du sort de nos
compagnons de la Dianè.
Au commencement de la nuit, nos gardes
commencèrent à faire des préparatifs pour
le départ. Vers minuit on apporta une .large
planche aux coins de laquelle étoient attachées
des cordes nouées ensemble comme à
uh berceau. Une perche passoit par les deux
extrémités, et aidoit à porter la planche sur
lès épaules. Les Japonois m’y placèrent et