ont enlevé non seulement nos effets, mais
aussi presque tout notre riz et notre saki, et
nous ont laissés en proie à la disette. » Par
suite de l’idée que nous voulions leur faire
tout le mal possible, ils avoient, ainsi que
nous l’assurèrent nos Kouriles, emporté dans
l ’intérieur de l’île tout ce qu’ils possédoient.
Ce récit nous affligea beaucoup. En effet, les
Japonois étaient fondés à concevoir des soüpr
çons, ne connoisssant pas la différence entre
les bâtimens de guerre et les navires marchands.
Avant notre départ,nous avions prévu
qu’ils accuseraient tous les Russes de la conduite
barbare de Chvostoff; comme ils n’a-
voient ni l’occasion ni les moyens de porter
leurs plaintes à notre gouvernement, ils ne pou-
voientpaslui désigner les coupables. Ce triste
sujet avoit souvent été l’objet denos entretiens.
Les Kouriles essayèrent de nous consoler,
en nous disant que tous les Japonois n’avoient
pas une si mauvaise opinion de nous , et que
le commandant du poste et ses compagnons
avoient seuls cette crainte des Russes, qui
n’étoit causée que par leur excessive timidité.
Pour appuyer leur discours, ils nous racontèrent
leur propre aventure. L’été précédent,
une tempête les avoit jetés sur cette partie
de l’île; aussitôt les Japonois les avoient arrêtés
et mis en prison, puis leur avoient
adressé beaucoup de questions sur l’attaque
des Russes. Les Kouriles avoient répondu qu’ils
n’avoient eu aucune part a la conduite de
ceux-ci, et qu’en outre ils avoient entendu
dire au Kamtschatka que les commandans
des bâtimens qui avoient commis les hostilités
étaient des chasseurs de fourrures, et non
des officiers de l ’empereur; qu’ils avoient agi
de leur chef , et qu’en conséquence l ’ispravnik
ou capitaine du cercle (i) leur avoit pris les
effets des Japonois. qu’il gardoit dans les
balagans ou magasins de l ’empereur, et avoit
mis les coupables en arrestation. « Ce récit ,
» continuèrent les Kouriles, fit concevoir aux
» Japonois une meilleure idée de nous; ils
» nous traitèrent mieux , et enfin nous re -
» mitent en liberté, après nous avoir donné
» du riz, du saki, du tabac, des vêtemens et
» d’autres choses. Au premier vent favorable
» nous nous embarquerons pour notre île. »
Deux verres d’eau-de-vie que je leur donnai
a chacun les rendirent iin peii plus hardis;
(1) Dans l ’opinion de ces gens^ l’ispraynik doit être
un des premiers officiers de l’empire russe. Il répond à
peu près à un sous-préfet.