l’issue de la tentative nous parut plus que douteuse,
et nous en restâmes là. En effet, pendant
que nous nous serions battus avec les soldats,
les pêcheurs auroient pu quitter le rivage ;
e t, quand même nous aurions pu nous emparer
de leurs bateaux, il étoit très-incertain
que nous pussions joindre le navire. M. Moor,
qui avoit l’oeil sur tous nos mouvemens, reconnut
bientôt, à notre attitude, de quoi il
s’agissoit. A notre retour, Alexis nous découv
r it en secret que nous courions un grand
danger; car M. Moor lu i avoit ordonné de
révéler notre projet aux Japonois, ajoutant
que s’il ne le faisoit pas, lui-même nous
dénonceroit. Alexis nous demanda donc si
réellement nous étions déterminés à nous
enfuir, et nous pria, dans ce cas, de ne pas le
laisser en arrière. Nous ne lu i avions pas
fait confidence de notre dernier plan, craignant
qu’une tentative si hasardeuse ne
l ’effrayât et qu’il ne nous trahît. Les entretiens
secrets qu’il avoit tous les jours avec
M. Moor pendant plusieurs h eu re s , nous
avoient inspiré des soupçons sur son compte.
Ce dernier ne savoit pas avec certitude si nous
avions renoncé à notre plan ni si nous avions
jeté notre provision de vivres. Or, s’il eût eu
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l ’intention d’instruire les Japonois d’une
chose si importante, sans être en état de la
prouver, il se fût, par cette conduite, couvert
d’un opprobre ineffaçable aux y eu x de ses
malheureux compagnons, qui ne lui avoient
ni fait ni même souhaité de mal, mais qui
ne vouloient pas pour lu i seul languir éternellement
en prison. S’il en eût usé ainsi
avec nous, et si ensuite, par un événement
inespéré, nous nous fussions tous retrouvés
en Russie, quels sentimens pénibles n’eût-il
pas éprouvés? Sans doute ces réflexions
avoient dû le frapper ; il falloit donc nécessairement
qu’il eût des preuves incontestables
de notre projet pour découvrir tout
aux Japonois. Alexis lu i devoit servir à
acquérir ces preuves. M. Chîebnikoff pen-
soit que ce Kourile nous étoit sincèrement
attaché, et que l’on pouvoit lui confier le
secret; mais j ’hésitois, je ne pou vois m’y
résoudre. Les matelots furent tous d’un avis
opposé; ils disoient que M. Moor étoit, par
ses insinuations, venu à bout de détacher
Alexis de nos intérêts, et l ’avoit rangé de
son côté. Dans une position comme la nôtre,
il n’existoit plus de subordination ; nous
acquiesçâmes donc à l ’avis des matelots, et
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