Quand les officiers et les interprètes japonois
vinrent, suivant leur usage, nous faire
visite et nous féliciter sur notre condition
actuelle, ils s’aperçurent tout de suite que
la nouvelle habitation n’avoit pas produit sur
nous l’impression qu’ils s’étoient figurée, et
que nous étions aussi tristes qu’auparavant.
« Nous voyons bien, nous dirent-ils, que le
« changement de votre position ne vous cause
« pas de joie,et que toutes vos pensées se portent
« sur les moyens de pouvoir retourner dans
« votre patrie. Le conseil suprême n’a encore
« rien décidé sur votre sort; mais le bounio
« qui doit, cet été, aller à Iédo, emploiera, aus-
« sitôt qu’il y sera arrivé, tous les moyens
« qui sont en son pouvoir pour engager le
« gouvernement à vous rendre la liberté, et
a à vous renvoyer en Russie. » Teské nous
avoit souvent parlé du dessein du gouverneur
de s’employer en notre faveur, et nous
avoit assuré qu’il étoit rempli de bienveillance
pour nous. Dans cette circonstance, il
nous découvrit une particularité qui nous
excita bien décidément à fuir avant le commencement
de l ’été. D’après le rapport de
Teské, le gouverneur avoit, le jour même, reçu
de Iédo une dépêche qu’il décacheta en sa
présence. Quand il eut pris lecture de cette
lettre, elle lui tomba des mains; l’effroi et la
douleur sé peignirent sur son visage. Teské
lu i en ayant demandé la raison, apprit que le
gouvernement n’avoit pas du tout écouté ses
représentations, et qu’au lieu de la permission
de s’entendre amicalement avec les bâti-
mens russes qui pourroient se montrer sur
les côtes du Japon, 011 lu i intimoit l’ordre de
leur faire tout le mal possible, de les brûler,
et de réduire l’équipage en captivité. En conséquence,
le prince de Nambou avoit été
requis d’envoyer à Kounaschir un gros détachement
de soldats, sous la conduite d un
colonel, avec de l’artillerie et des munitions
de guerre, de fortifier d’autres places maritimes
, et d’en renforcer les garnisons. « S’il
<c en est ainsi, dîmes-nous, la guerre est ine—
cc vitable, et ce ne seront pas les Russes, ce
cc seront les Japonois qui auront cause 1 effu—
a sion du sang. » — « La guerre pourra bien
ce éclater, reprit Teske, mais elle ne sera pas
g éternelle; une fois la paix conclue, vous
<£ recouvrerez la liberté. » — ® Oui , nous
« disions-nous, nous serons délivrés, quand
« nos os seront déjà consumés au Japon ! »
— Nous savions bien que le port d’Ochotsk
24*