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puis se mirent tranquillement à fumer. Tandis
que l ’on nous gàrrottoit, le commandant
en second parut, et fit un signe sur sa bouche,
probablement pour indiquer que l’on nous
donnerait à manger, et que nous n’avions rien
à craindre pour notre vie.
Nous passâmes une heuré dans cette triste
et douloureuse position, sans savoir ce que
l ’on feroit de nous. Lorsque les Japonois
firent passer les cordes par. les solives, nous
crûmes qu’ils alloierït nous pendre à l’instant
même. Jamais je n’ai plus méprisé la mort
que dans ce moment; je souhaitois de tout
mon coeur qu’ils accomplissent sur-le-champ
leur cruel dessein. ; D’autres fo is , nous
pensions qu’ils nous décapiteroient en présence
de nos compatriotes, et je dois avouer
que cette idée me donnoit quelque consolation
dans ma situation désespérée. Je me
disois que si l’on nous ôtoit ainsi barbarement
la vie aux y eu x de nos amis et de nos compagnons,
les Japonois 'leur inspireraient une
Laine bien plus forte; un désir’de vengeance
bien plus ardent, et qu’enfin la nouvelle de
cette cruauté exciterait les mêmes sentimens
dans le coeur de notre monarque et de tous
nos compatriotes. Nous avions ainsi l’espoir
que nôtre mottserait vengée sur lés Japonois ;
qu ils auroient lieu de se repentir de leur
crime et de déplorer eux-mêmes notre sort.
Ils nous ôtèrent cependant les liens au-
dessous des mollets , desserrèrent un peu
ceux qui étoient au -d e s su s des genoux,
--nous firent sortir du fort, traverser la
campagne, et entrer dans une forêt. Nous
étions tellement garrottés, qu’un enfant de
dix ans eut p u , sans le moindre risque, nous
conduire tous; mais les Japonois ne pén-
soient pas de meme. Chacun de nous avoit un
conducteur particulier qui tehoit lé bout de
la corde, et de plus un soldat armé à ses
côtés. Nous marchâmes ainsi à la suite les
uns des autres, jusqu’à une certaine distancée
Du haut d’une colline , nous aperçûmes
notre, corvette a la voile . . , . Cette viie me
déchira le coeur.-M. Chlebnikoff, qui rnar-
choît derrière moi, m’ayant crié : « Tassili
3), Mikaïloyitsch ! regardez la Diane pour la
» demie ré fois. » Ces mots furent comme .un
poison qui se glissa dans mes veines. <t O
» -Dieu Ì me. disois j e , que signifient cés pa*
» rôles ! Voyez pour la dernière fois la
» Russie, l’Europe; nous appartenons main-
» tenant à une autre partie du monde. Nous
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