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» ne sommes pas morts, mais tout est mort
» pour nous dans notre patrie, en Europe,
» dans le monde entier.; nous n’entendrons
» plus parler de-ce qui s’y passe.» Je me trou-
vois dans un état affreux.
Nous nous étions éloignés à peu près de
deux verstes du fort, quand nous entendîmes
une canonnade. Le son nousfaisoittrès-
bien distinguer les coups de canon de la place
de ceux de la corvette. La nombreuse garnison
et les larges murailles en terre qui défen-
doient le fo r t, ne nous faisoient pas espérer
une issue heureuse. La corvette pouvoit s’embraser
ou toucher, et tout son équipage
tomber dans les mains des Japonois : telles
étoient nos craintes. Dans ce cas, la no avelie
de notre triste sort ne parviendrait pas eh
Russie. Ce que j’appréhendois su r tou t, étoit
que M. Ricord et les autres.officiers, mus par
leur amitié pour moi qui leur aurois fait
mépriser tous les dangers , ne voulussent
tenter une descente pour emporter le fort
d’assaut. Ils l’eussent peut-être entrepris, ne
Sachant pas combien la garnison l ’emportoit
par le nombre sur l ’équipage de la corvette
qui ne consistoit qu’en cinquante-un hommes,
officiers, matelots et domestiques. Cette idée
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me lourmentoit d’autant p lu s , que nous
n’avions rien appris sur le sort de la Diane.
J’étois serré si fortement, surtout au cou ,
que je perdis la respiration avant que nous
eussions parcouru six à sept verstes. Mes
compagnons me dirent que mon visage se
gonflòit et noircissoit Je pou vois à peine
cracher, et j ’avois la plus grande difficulté à
parler. Nous fîmes plusieurs signes aux Japonois
, et nous les priâmes, par l ’intermédiaire
d’A le x is , de desserrer un peu la corde,
màis le bruit du canon leur avoit causé une
telle épouvante que, regardant constamment
en arrière, ils ne voulurent pas nous écouter,
et nous forcèrent à marcher toujours pluâ
vite. La vie me parut en ce moment le fardeau
le plus accablant, et je résolus, dans le
cas où nous remontrerions une rivière , d’y
terminer mes jours. Cependant je reconnus
bientôt que ce dessein ne seroit guère exécutable,
car les Japonois nous tenoient fòrte-*
ment sous les bras quand le chemin traver-*
soit de petits ruisseaux. Je finis par tombe*
sans connoissance ; quand je revins à m o i, je
vis que les Japonois me jetoient dé l’eau au
visage ; le sang me sortoit par la bouche et par
le nez. Mes infortunés compagnons, MM. Moor