confidence au pauvre Alexis qui, d’abord, fut
épouvanté, pâlit, et ne put pas articuler une
parole ; bientôt il se remit, et nous déclara
qu’il étoit aussi bon russe que nous ,, e t ,
comme nous, ne connoissoit qu’un Dieu et
qu’un empereur; peu lui importoit que nous
eussionstortou raison ,il étoitrésoluà s’enfuir
avec nous; qu’ensuite, dût-il être englouti
par la mer ou tué par les Japonois, il se trouverait
heureux de partager notre sort. Nous
fumes réellement surpris de la résolution et
de la fermeté de cet homme; dès-lors, nous
délibérâmes avec lui surles moyens de mettre
notre entreprise à exécution.
Il s’en offrait deux pour nous évader. Deux
des soldats de garde dans l’intérieur de notre
prison , restoient presque toujours assis avec
nous auprès du feu jusqu’à minuitqu’ils s’en-
dormoient. Plusieurs d’entre eux étoient d’ailleurs
très-adonnés aux boissons fortes; et,
lorsqu’ils n’attendoient plus de visites de
leurs supérieurs, ils étoient ivres le soir en
venant chez nous. A ins i, profitant d’une
nuit obscure, nous pouvions tomber à l’im-
proviste sur nos gardes, les garrotter, les
bâillonner même pour qu’ilsne pussent crier,
prendre leurs sabres, grimper par-dessus la
palissade et descendre dans la ravine, nous
glisser en silence et avec précaution jusqu’au
rivage, nous y emparer d’un bâtiment, et
faire voile pour la côte de Tartarie. Ce plan
nous ayant paru trop téméraire, et même inexécutable,
nous en choisîmes un autre. A
minuit, les soldats se retiraient dans leur
corps-de-garde après avoir fermé notre porte,
et s’endormoient tranquillement sans mettre
dans leur service leur ancienne sévérité. Dans
un coin écarté du corps-de-garde se trouvoit
une petite porte quiservoit pour le nettoyage
d’un certain lieu. Elle étoit fermée à clef et
au verrou; mais nous avions un couteau fort
et bien affilé; nous pouvions donc aisément
couperles solives auxquelles tenoientles crampons,
ouvrir la porte, sortir tout doucement,
et, au m oyen d’une échelle de corde que nous
avions faite avec un hamac (1), franchir la palissade.
Afin de n’être pas entièrement sans
armes, nous devions, dans la nuit où nous
f i ) Quand on nous fit prisonniers à Kounaschir, il se.
trouva dans notre canot un hamac de matelot sous la
toile à voile. Nous demandâmes celle-ci aux Japonois
pour nous servir de couverture ; ils nous la refusèrent.
Mais à Chakodade', un des matelots obtint le l amac qui
devoit nous servir d’échelle.