respect à la manière du pays, ce qui le rendit
l ’étonnement et la risée même des Japonois.
Incertain sur ce qu’il falloit faire dans cette
position critique, je proposai de demander à
M. Moor sa parole d’honneur ou son serment,
que jusqu’au lendemain matin il ne diroit
rien de notre fuite; que, de notre côté, nous
laisserions une lettre adressée au gouverneur,
et nous nous engagerions, dans le cas où l’on
nous rattrapperoit, à déclarer que M.' Moor
n’avoit rien su de notre projet. Mais les matelots
n’eurent qu’ùne v o ix contre cette proposition,
disant que l ’on ne pouvoit pas se
reposer sur les assurances de M. Moor. Pour
preuve de ce qu’ils avançoient, ils articulèrent
plusieurs faits contre cet officier; bref,
je fus obligé de partager leur opinion, que
dans une occasion si importante il y auroit
du danger à se fier à lui. Les interprètes nous
avoient assurés qu’au commencement de la
belle saison, l’on nous permettroit de nous
promener dansla ville sousla garde de quelques
soldats; nous décidâmes donc d’attendre, es-
pérantque peut-être l’on nous conduiroit aussi
hors de la ville,parce qu’alors nous pourrions
avoir recours à la force pour nous mettre en
liberté, et que nous n’aurions rien à craindre
de M. Moor. De peur néanmoins qu’il ne découvrît
notre premier projet aux Japonois,
nous feignîmes d’avoir, ainsi que lu i, abandonné
toute idée de fu ite , et de vouloir attendre
tranquillement notre sort. Quant à lui,
sa conduite pusillanime ne changea pas.
Sur ces entrefaites nous fîmes une nouvelle
connoissance. C’étoit un nommé Mamia
Rinso, géomètre et astronome, envoyé de la
capitale du Japon à Matsmaï. La première fois
qu’il vint nous voir, ce fut en compagnie de
nos interprètes. Ceux-ci nous dirent que ce
savant étoit récemment arrivé de Iédo chargé
par le gouvernement, d’après le conseil de
médecins expérimentés dans l’hygiène européenne
, de nous apporter des médicamens
propres à nous préserver du scorbut, si commun
et si dangereux dans cette île. Ces médicamens
consistoient en deux bouteilles de
jus de citron, un certain nombre de citrons
et d’oranges, enfin beaucoup de plantes
sèches d’une odeur très-suave, et que, conformément
au conseil des Japonois, nous mettions
en petite quantité dans notre soupe. En
outre, le gouverneur nous fit passer, à cette
occasion, trois ou quatre livres de sucre en
poudre et une petite caisse de piment confit
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