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avec force, cingler avec la vélocité d’une flèche. La
vivacité avec laquelle ils échappent, pour ainsi dire L
à l’oeil de l’observateur, est principalement produite par
une queue très-longue , et qui, frappant l’onde salée
par une face très-étendue, ainsi que par une nageoire
très-large , est animée par des muscles vigoureux et
soutenue de chaque côté par un cartilage qui accroît
l’énergie de ces muscles puissans*.
Lorsque dans certaines saisons , et particulièrement
dans celle de la ponte et de la fécondation des oeufs ,
une nécessité impérieuse les amène vers quelque plage,
ils serrent leurs rangs nombreux, ils se pressent les uns
contre les autres ; et les plus forts ou les plus audacieux
précédant leurs compagnons à des distances déterminées
par lés degrés de leur vigueur et de leur courage ,
pendant que des nuances différentes composent une
sorte d’arrière-garde plus ou moins prolongée , des
individus les plus foibles et les plus timides , on ne doit
pas être surpris que la légipn forme une sorte de grand
parallélogramme animé, que l’on apperçoit naviguant
sur la mer, ou q u i, nageant au milieu des flots qui
le couvrent encore et le dérobent à la vue , s’annonce
cependant de , loin par le bruit des ondes rapidement
refoulées devant ces rapides voyageurs. Des échos ont
quelquefois répété cette espèce de bruissement, ou de
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murmure lointain, qui se propageant alors de rocher
en rocher, et multiplié de rivage en rivage , a ressemblé
à ce retentissement sourd , mais imposant, qui, au
milieu du calme sinistre des journées brûlantes de l’été,
annonce l’approche des nuées orageuses.
Malgré leur multitude , leur grandeur, leur force
et leur vitesse, ces élémens des succès dans l’attaque ou
dans la défense , un bruit soudain a souvent suspendu
une tribu voyageuse de thons au milieu de sa course :
on les a vus troublés , arrêtés et dispersés par une vive
décharge d’artillerie,,ou par un coup de tonnerre subit.
Le sens de l’ouïe n’est même pas , dans ces animaux , le
seul que des impressions inattendues ou extraordinaires
plougent dans une sorte de terreur : un objet d’une
forme ou d’une couleur singulière suffit pour ébranler
l’organe de leur vue, de manière à les effrayer, et à
interrompre leurs habitudes les plus constantes. Ces
derniers effets ont été remarqués par plusieurs voyageurs
modernes, et n’avoient pas échappé aux navigateurs
anciens. Pline rapporte , par exemple , que, dans
le printemps , les thons passoient en troupes composées
d’un grand nombre d’individus, de la Méditerranée,
dans le Pont-Euxin, ou mer Noire ; que dans le bosphore
de Thrace, qui réunit la Propontide à l’Euxin , et
dans le détroit même qui sépare l ’Europe de l’Asie, un
rocher d’une blancheur éblouissante et d’une grande
hauteur s’élevoit auprès de Chalcédoine sur le rivage
asiatique; que l’éclat de cette roche frappant subitement
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