23.6 H I S T O I R E N A T U R E L L E
kilogrammes. Dans l’Albanie, on en a vu dont on a
comparé la grosseur à celle de la cuisse d’un homme;
et des observateurs très-dignes de foi' ont assuré que,
dans des lacs de la Prusse, on en avoit pêché qui étoient
longues de trois à quatre mètres. On a même écrit que
le Gange en avoit nourri de plus de dix mètres de
longueur; mais ce ne peut être qu’une erreur, et l’on
aura vraisemblablement donné le nom d'anguille h
quelque grand serpent, à quelque boa devin que l’on
aura apperçu de loin, nageant au-dessus de la surface
du grand fleuve de l’Inde.
Quoi qu’il en soit, la croissance de l’anguille se fait
très-lentement; et nous avons sur la durée de son
développement quelques expériences précises et curieuses
qui m’ont été communiquées par un très-bon
observateur, le citoyen Septfontaines, auquel j’ai eu
plusieurs fois, en écrivant cette Histoire naturelle,
l ’occasion de témoigner ma juste reéonnoissanee.
Au mois de juin 1779 (v. st. ) , ce naturaliste mit
soixante anguilles dans un réservoir; elles avoient alors
environ dix-neuf centimètres. Au mois de septembre
1788, leur longueur n’étoit que dé quarante à quarante
trois centimètres; au mois d’octobre 1786, cètte
même longueur n’étoit que de cinquante-un centimètres;
et enfin, en juillet 1788, ces anguilles n’étoient
longues que de cinquante-cinq centimètres au plus.
•Elles ne s’étoient donc, alongées en neuf ans que de
yingt-six centimètres.
D E S P O I S S O N S .
Avec de l’agilité, de la souplesse, de la force dans
les muscles, de la grandeur dans les dimensions, il est
facile à la murène que nous examinons, de parcourir
des espaces étendus, de surmonter plusieurs obstacles,
de faire de grands voyages, de remonter contre des
courans rapides*. Aussi v a - t-e lle périodiquement,
tantôt des lacs ou des rivages voisins de la source des
rivières vers les embouchures des fleuves, et tantôt de
la mer vers les sources ou les lacs. Mais, dans ces migrations
régulières, elle suit quelquefois un ordre différent
de celui qu’observent la plupart des poissons voyageurs.
Elle obéit aux mêmes lois ; elle est régie de même
par les causes dont nous avons tâché d’indiquer la
nature dans notre premier Discours : mais tel est l’ensemble
de ses organes extérieurs et de ceux que son
intérieur renferme, que la température des eaux, la
qualité des alimens, la tranquillité ou le tumulte des
rivages, la pureté du fluide, exercent, dans certaines
circonstances, sur ce poisson vif et sensible, une action
très - différente de celle qu’ils font éprouver au plus
grand nombre des autres poissons non sédentaires.
Lorsque le printemps commence de régner, ces derniers
remontent des embouchures des fleuves vers les points
les plus élevés des rivières ; quelques anguilles, au contraire
, s’abandonnant alors au cours des eaux, vont